Merci à W.E Gutman, notre ami de Floride, pour cette contribution à notre situation actuelle.
Né à Paris, W. E. Gutman est un journaliste et écrivain franco-américain. L’ancien rédacteur international du magazine futuriste OMNI, ex-attaché de presse au Consulat Général d’Israël à New York, et collaborateur d’une revue scientifique russe à Moscou, il fut en mission en Amérique Centrale pendant douze ans. L’auteur de treize livres, il vit avec sa femme en Floride.
Lake Worth, Floride, USA -- Il y a deux mois à peine, je me demandais quel fléau emporterait la race humaine-- une catastrophe écologique (qui est d’ailleurs en cours) ou une conflagration nucléaire ? Et voilà qu’un joli petit pathogène hérissé de crochets écarlates est en train de déjouer mes augures les plus pessimistes. On le dit issu d’un métissage diabolique microbien entre un pangolin, une chauve-souris, peut-être même un serpent. Ce boursicotage n’explique guère sa genèse : le viol, par l’homme, de son foyer - la biosphère - et la dégradation des habitats naturels des créatures qu’il blâme.
Une vile puanteur imprègne les rues désertes des métropoles américaines. Ce n’est que l’exhalaison des poumons d'un monstre moribond : le capitalisme vient de souffrir un arrêt cardiaque : les richards risquent de perdre leurs milliards. Désormais, l'histoire de l'humanité sera peut-être inscrite en deux chapitres : pré-Corona et post-Corona. Cette pandémie n'est pas seulement une crise de santé. Elle anticipe et surpasse toutes les agressions contre la nature qui nous ont menées au bord du précipice. Elle incarne toutes les autres crises, toutes les insuffisances et les faiblesses d'une civilisation industrielle fondée sur la cupidité, sur le pillage de la nature et l’exploitation de la classe ouvrière. En se dressant contre nous, ce virus nous rappelle que notre monde était déjà très malade.
Bien sûr, ce n’est ni le pangolin, ni la chauve-souris, ni même le serpent. C’est nous. Nous avons beau nous tordre les mains, nous livrer à des mièvreries larmoyantes tant que la crise bat son plein. Nous l’oublierons dès qu’elle s’estompe et nous nous remettrons à fabriquer des enfants qui ne demandent pas de naître dans un monde que leurs parents s’acharnent à avarier, à élire des crétins, et à nous convaincre que nous avons une valeur quelconque dans un univers qui continue à manifester son indifférence absolue.
Tristement, bêtement, nous croyons que, lorsque notre planète mourra (elle est déjà dans un triste état) on nous en refilera une autre … que nous procèderons à détruire avec notre désinvolture coutumière. Il est imprudent de croire que les hommes sont capables de tirer des leçons des âneries qu’ils commettent.
Le journaliste est muni de ses mots. Ses adversaires - un triumvirat d’intérêts collusoires - sont pourvus d’un arsenal braqué sur la vérité : ceux qui prétendent gérer l’économie mondiale en établissant un « ordre nouveau » fictif et élitaire au sommet ; ceux qui visent à maintenir des empires coloniaux rentables au milieu ; et bien au fond de ces structures vampiriques, les régimes dociles des pays débiteurs qui bavent comme les chiens de Pavlov quand leurs créanciers sonnent la clochette de l’aide étrangère. Nous espérons que nos mots « perdurent. » Ils le font sur la page imprimée, mais on les oublie. Ou alors ils laissent traîner derrière eux un fouillis de rhétorique qui n’a jamais su corriger la nature humaine, dompter les passions, maîtriser la haine, enrayer la violence. Ni l’affirmation de Nietzsche que « Dieu est mort », ni les satires de Lucien de Samosate ou l’athéisme assertorique de Rabelais, Kafka, Camus, Sartre, Rushdie, et Dawkins, n'ont réussi à détourner les hommes de leurs obsessions, et pas plus que les Dix Commandements n'ont pu supprimer le mal. Certaines illusions et certaines horreurs sont au-delà des mots.
Pogroms, exils, invasions militaires, tortures, ethnocides : ils furent tous ensevelis sous cette tourmente ininterrompue d’agonies humaines. Les images choquantes, diffusées aux heures de grande écoute, de l’inhumanité de l’homme envers les hommes ne mentent pas. Le monde - les bulletins d’informations nous le redisent - est un cloaque dans lequel nous pataugeons, enfoncés jusqu’au cou, dans le sang des martyres. À table, en famille, nous les regardons mourir ou disparaître comme des fantômes. « Le passé est prélude, » nous déclarons d’un ton altier tout en continuant nos agapes tandis que nous nous perdons dans le spectacle envoûtant que nous propose la télé. Notre psyché fragile et surmenée nous force de glisser sur l’histoire - les Croisades ; la « Sainte » Inquisition ; la Conquista ; le Shoa ; l’extermination des peuples autochtones des Amériques ; l’esclavage ; le massacre de plus d’un million d’Arméniens ; le Biafra ; les ossuaires du Cambodge ; les carnages intertribaux entre Hutus et Tutsis ; les bains de sang dans le Chiapas et les jungles du Guatemala ; les spasmes de violence auxquels s’adonnent Israéliens et Palestiniens ; les guerres en Irak, Syrie, et Afghanistan ; l’assassinat des enfants de rue en Amérique Centrale.
La géographie, les dissimilitudes raciales, les incongruités culturelles, toutes nous permettent d’intellectualiser la souffrance des autres. Nous la supportons en chassant sommairement de notre esprit les images que ces infamies évoquent. « On ne peut changer la nature humaine, » nous pontifions, alors que nous prenons le dessert. À la rigueur, un feuilleton sot à en pleurer nous mettra à l’aise. Nous survivons la vérité en regardant ailleurs.
Nous avons affûté l’art du meurtre, et la bête sauvage que nous sommes, rugit avec de plus en plus de férocité. La race humaine est une hydre dont la seule raison d’être est de se reproduire et, le jour venu, de se dévorer. Tout ça c’est une immense, cocasse, déchirante, sordide, affreuse mise en scène, une fête foraine où règnent les jongleurs, les illusionnistes, les funambules, les contorsionnistes, et les monstres.
Ici, les choses vont mal. Les savants et les spécialistes de la santé affirment que ce n’est que le début. Nous avons un président, démagogue de l’extrême droite, qui insulte les journalistes qui osent poser des questions gênantes, un menteur pathologique qui se moque de la sévérité d’un fléau qui continue à tuer des centaines de personnes par jour. Les étagères des magasins d’alimentation sont presque vides. Sous l’emprise de la panique, les consommateurs amassent tout ce que l’on trouve encore.
Craignant des pénuries et des émeutes, les gens s’arment ; la vente d’armes à feu est en hausse partout aux États-Unis. Et, comme s’ils n’avaient rien d’autre à dire, les gourous affirment que le coronavirus est soit un agent biologique chinois lancé contre l’ouest - ou vice-versa. Nous avons un très grand nombre d’imbéciles prêts à croire ce que les colporteurs de théories du complot débitent afin de semer l’inquiétude, de créer des divisions politiques, peut-être même d’imposer la loi martiale et d’entraîner une dictature fasciste qui favoriserait un deuxième mandat Trump. En ce moment, l’Amérique, « le leader du monde libre… » est à la dérive.
L’ironie - et le grand danger - est que le Corona aiguise en nous le besoin de nous rapprocher de ceux qui nous sont chers. Cette impulsion risque d’être néfaste. On cite de plus en plus de cas de personnes parfaitement saines qui sont porteurs du pathogène et qui infectent sans le savoir des personnes vulnérables. Pire encore, d’après la littérature scientifique, la présomption que le Coronavirus est saisonnier, c.a.d. qu’il pourrait se calmer pendant l’été … et revenir, plus virulent encore, en automne et hiver.
Le Coronavirus ? Un réveil parmi tant d’autres que nous avons ignoré. L’univers s’en moque. Il continuera sans nous.