Valence-sur-Baïse peut s’enorgueillir d’avoir donné naissance à des personnages illustres. Le mot n’est pas trop fort lorsqu’on déroule les différents chapitres de leur vie. Il en est un qui aura marqué de son empreinte le paysage aquitain, il se nomme Roger Touja. Je le rencontrais souvent lors de manifestations locales auxquelles il prêtait le concours de son matériel et même de ses employés. Roger fonda en effet une entreprise qui construisit des châteaux d’eau.
Un jour, bien installé dans le salon de sa maison, il me raconta comment il en était arrivé là. Alors qu’il s’occupait de maçonnerie traditionnelle, son premier ouvrage, fut plutôt du genre miniature. Une fantaisie que lui avait commandée, un propriétaire des environs : un réservoir en ciment monté sur quatre pieds et d’une capacité de… 1 mètre cube ! Depuis le petit château peut s’enorgueillir d’une imposante et riche progéniture. Ils sont en effet plus de cent quatre-vingts, signés de la même main à se dresser dans le ciel du Gers, de la Haute-Garonne, du Tarn-et-Garonne, des Landes, des Pyrénées-Atlantiques, des Hautes-Pyrénées et même de la Principauté d’Andorre.
Pour la seule région de Valence on en compte sept. Au fil des ans ils ont pris de la majesté et du volume ; leurs silhouettes ocres, grises ou blanches s’élèvent de dix à soixante-cinq mètres. Et leurs altières coupoles contiennent dans leurs flancs de cinquante à quinze cent mètres cubes d’eau. Le chef d’oeuvre de Roger Touja est celui de Merville (Haute-Garonne), érigé à la demande du Syndicat des Communes des eaux de la vallée de la Save et des côteaux de Cadours. Un géant parmi les géants.
Que de chemin parcouru et que de courage déployé par cette famille originaire de Cassaigne ! « Mon père, me raconta Roger, a débuté en 1934 comme artisan en maçonnerie… avec deux ouvriers. Sa principale activité était de réparer les fermes, les hangars, les étables et quand la chance voulait bien lui sourire, bâtir une maison dans l’année. » Ce n’était pas l’âge d’or. Roger commença à travailler à 13 ans juste après son Certificat d’Etudes Primaires. Lorsque la guerre a éclaté, le père mobilisé, il a fallu changer de métier, lâcher la truelle pour la charrue pendant trois ans. Ensuite, retour à la maçonnerie, du bricolage avec deux ou trois compagnons. En 1944, nouveau changement de décor. La résistance, le maquis avec le Bataillon de l’Armagnac… Enfin, la libération !
Roger décide de s’installer dans une grande ville, comme il me dira : Valence-sur-Baïse. Il y loue d’abord un local, puis, à force d’économies, achète une vieille maison dont il retape les murs et refait l’intérieur. Les débuts sont difficiles. Il possède juste une camionnette avec laquelle il transporte à pied d’oeuvre les matériaux, l’outillage et, en se marrant bien, les trois ou quatre braves ouvriers qui entourent le « patron ». Avec eux, m’apprendra-t-il encore, il a fait ou refait la plupart des trottoirs, bordures et caniveaux de Valence. Puis il a effectué des travaux plus importants : des maisons, quelques écoles et, pour l’E.D.F., plusieurs cabines ou transformateurs dans le Gers et la Haute-Garonne.
Mais Roger sait que l’approvisionnement en eau est crucial pour des régions comme le Sud-Ouest toujours exposées à de dramatiques sécheresses. C’est pourquoi, en 1956, il décide d’y consacrer désormais toute son activité. Il ne construira plus que des châteaux d’eau, des stations de traitement d’eau potable,et des stations d’épuration des eaux usées. Nous y consacrerons un prochain article...
Claude Laffargue