Une leçon d'humilité

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Quelle surprise ! Mauvaise certes, catastrophique même, mais quelle surprise. Comment pouvait on imaginer qu’en 2020, dans ce monde moderne où on ne parle que de nanotechnologies et d’intelligence artificielle, toutes nos certitudes allaient être balayées par un virus ?

Personne ne s’y attendait. Par principe, j’ai vérifié les prédictions des extra-lucides, astrologues, Madame Irma, toutes ces voyantes qui ne voient pas grand chose sinon les euros qu’elle pourront vous extorquer (escroquer ?). Résultat : rien. Vous me direz, voir un virus de 0,1 micron dans une boule de cristal, même bien astiquée, c’est pas évident, et quant au marc de café je n’en parle même pas.

Du côté de gens plus sérieux, futurologues, prévisionnistes, rien non plus. Du coup, on n’était pas prêt. Et ça s’est vu ! Plus pour certains que pour d’autres, mais par exemple, pour le gouvernement c’était criant ! Panique et cacophonies, annonces et contre annonces tout y est passé. Pas aidé par les experts médicaux dont certains ont dit tout et son contraire, comme le doc(anima)teur télé qui ne craignait pas « la petite grippe » qui, au moment où j’écris ces lignes, a quand même fait 27 000 morts rien qu’en France ! Depuis il s’en est excusé, mais c’est vrai que cela doit être difficile pour un spécialiste de dire : je ne sais pas. Et pourtant c’est peut être mieux que de diffuser des informations que la réalité va s’empresser de contredire. Même aujourd’hui, il y a des chercheurs qui avouent qu’ils n’ont peut être pas encore fait le tour de ce Covid 19, sur ses mutations, ses modes de transmission,…

Donc, un gouvernement aux abois, et à l’étage en dessous des Agences Régionales de Santé (ARS) pas au top non plus. C’est vrai que, quand, depuis de longues années, on passe son temps à fermer des lits et à supprimer les postes qui vont avec, c’est pas facile d’un seul coup de se transformer en pourvoyeur de matériel, de masques, de gel… C’est un autre métier et les ARS ont eu du mal. Du coup, on vu des soignants d’E.P.A.H.D lancer des annonces dans les journaux pour demander à des particuliers des masques et des sur blouses pour remplacer les sacs poubelles découpés.

Et nos stratèges militaires, vous y avez pensé. Quelle remise en question ! Eux qui croyaient dur comme fer dans la dissuasion nucléaire se voient concurrencés par ce coronavirus au pouvoir destructeur redoutable mais qui préserve la faune et la flore et ne laisse pas le moindre becquerel de radioactivité résiduelle derrière lui. Quant au Charles de Gaulle, pour une fois que les avaries l'épargnaient, le voilà de nouveau à quai faute d'équipage.

Au final, les seuls qui se sont montrés à la hauteur, ce sont les personnels des établissements de soins. Pour avoir été parmi eux pendant plus de quarante ans, je n’ai pas été surpris. Je savais qu’ils répondraient présents car la gestion de crise, ils connaissent. C’est même leur quotidien. Bien entendu, pas avec la même ampleur et l’intensité de ces derniers mois, mais ils sont entraînés. Être rappelé pendant ses vacances, ils connaissent. Faire descendre l’infirmière du 5e D au 4e A pour remplacer celle partie renforcer l’équipe du 3C en difficulté, ils connaissent. Vous allez me dire : «  qui va remplacer celle du 5D ? ». On ne sait pas, on cherche, et si ce soir, à 20 h, on n’a pas de solution, on enverra un fax aux agences d’intérim pour une infirmière demain matin 6 h 45. Et ça marche ? Non, rarement, et le lendemain on recommence. Alors, les heures supplémentaires et les RTT s’accumulent avec peu d’espoir de les récupérer et encore moins de se les faire payer. Seule consolation, on solde lors du départ à la retraite et on part avec six ou neuf mois d’avance sur la date prévue.

Comment en est on arrivé là ? Je ne sais pas. Ou plutôt si, quand on a décidé que l’hôpital devait être une entreprise comme une autre. Tous les 31 décembre et après on se dit : «  bonne année et bonne santé surtout, c’est le plus important » et ma tante Berthe ajoutait : « La santé, ça n’a pas de prix ». Oui mais elle a un coût, et on le sait depuis toujours, exorbitant diront certains, mais de là à ce qu’un hôpital soit rentable ! Est ce que l’école doit être rentable ? Est ce que la police, l’armée, les pompiers doivent être rentables ? Est ce que les institutions comme le sénat doivent être rentables ? Non, là, ce n’est peut être pas un bon exemple, le sénat, on sait qu’il n’est pas rentable et en plus on sait exactement ce qu’il coûte. Cher, très cher !

Pour en revenir à l’hôpital, pour le transformer en entreprise, les économistes ont inventé des modes de gestion « adaptés ». Par exemple, on a eu le budget global. Vous connaissez ? Je vous explique en deux mots. Cela consiste à prévoir votre activité pour l’année qui suit et on vous donne le budget qui va avec. Vous allez me dire, pas facile d’anticiper le nombre de patients et la gravité des pathologies qu’on va recevoir trois ou six mois à l’avance. On n’est jamais à l’abri d’une canicule ou d’une grippe plus virulente que d’habitude. Non, mais vous n’avez pas le choix. Du coup, si vers le mois d’octobre, vous sentez que vous allez dépasser votre budget, deux solutions s’offrent à vous : soit vous fermez le service et vous dites à vos malades : revenez en janvier, soit piteusement, vous allez réclamer une rallonge à la direction pour finir l’année, et vous n’êtes pas bien accueilli et vous avez droit au sermon pour faire mieux l’année prochaine. Quant au collègue d’à côté, qui lui a tout bon et qui a même fait un petit « bénef », il est tout content et pense avoir les félicitations mais non, ce n’est pas bien, et ce qu’il a économisé, on lui retire sur budget de l’année d’après !

Le budget global abandonné, nos experts de l’avenue de Ségur se sont remis au travail et ont sorti la T2A pour Tarification A l’Activité. Vous connaissez ? Je vous explique en deux mots encore. Là, c’est fait. On se rapproche de l’entreprise, P.M.E ou commerce de proximité. L’hôpital se rémunère sur ce qu’il gagne. De fait, les patients, les séjours ou les pathologies sont tarifés sur un barème avec des cas qui rapportent et d’autres qui rapportent moins. Du coup, les médecins chefs de service en plus de dix ans de médecine auraient du faire HEC ou Sup de Co. Tenez, un exemple pris sur le vif d’un appel téléphonique entre un chef de service et sa secrétaire, un vendredi après-midi : « Allo, Karine ?, dites donc mon petit, qu’est ce qu’on a comme entrants lundi ? Oui, d’accord, bon, et c’est tout, ah un diabète avec une artérite des membres inférieurs ? attendez je regarde, oui c’est bien ça, mais attention Karine, pas de blague hein, pas de gangrène surtout, car quand il faut amputer un orteil, ça me coûte un bras ! » Bon, je sais, c’est limite. C’est de l’humour de carabin mais ce n’est malheureusement pas aussi éloigné de la vérité que vous pensez.

Donc la T2A ne fonctionne pas et d’ailleurs plusieurs centaines de chefs de service ont démissionné récemment de leur fonction administrative pour ne plus avoir à choisir et à subir. C’est quasiment à la même époque que les blouses blanches défilaient dans les rues dans une indifférence quasi générale. Mais c’est quand même bien de les applaudir tous les soirs, à vingt heures.

Bon, alors si rien ne marche, qu’est ce qu’on fait ? Je ne sais pas. On pourrait peut être s’intéresser au gain d’une guérison plutôt qu’au coût d’une maladie. Combien cela rapporte une fracture du col du fémur de la personne âgée bien traitée avec retour au domicile en toute autonomie avec juste un peu de kiné pour parfaire la forme ? De manière plus générale, combien cela rapporte un patient guéri, sans séquelles, qui reprend une activité normale ? On ne sait pas faire.

Et pourtant, je vous assure qu’à l’hôpital, on ne jette pas l’argent par les fenêtres. Les cadres de santé sont chargés de tout compter : les médicaments, les seringues, les sacs poubelles, tout vous dis-je. De plus, les établissements sont soumis aux codes des marchés publics avec commissions d’appel offres. On donne à essayer aux utilisateurs les échantillons fournis par les soumissionnaires et on espère que la commission va respecter notre choix. Malheureusement, le rapport qualité prix passe après le moins disant et c’est comme ça qu’on se retrouve avec des alèses en papier qui se déchirent à la première sollicitation et des absorbants qui n’absorbent rien et qu’on double systématiquement.

Ouf. Quelle logorrhée ! J'ai pensé qu'en ce début de confinement, les bilans allaient fleurir un peu partout, alors pourquoi pas moi ? Et dire que notre rédacteur en chef  se plaignait qu’on n'écrivait pas assez pendant le confinement ! Tant pis, je me suis lâché. Si c’est trop long, les correctrices couperont !

J’aurai encore plein de choses à dire sur l’hôpital, mais ce sera pour une autre fois.

Pour reprendre le titre de cet article, j’espère que cette tragédie sera une leçon d’humilité face à l’arrogance et aux certitudes.

Il paraît que rien ne sera plus comme avant. En bien, en mal, personne ne sait, on verra bien…

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