À la fin de juin 1940, le Gers est submergé par les réfugiés. Selon Gisèle Polya-Somogyi, professeur de lettres, le Gers en accueille 100 000, Français et étrangers, en plus des réfugiés espagnols et alsaciens de 1940. 2 000 sont envoyés ailleurs chaque jour. Le 20 mai 1940, les Français internent les ressortissants ennemis. Les Juifs étrangers sont souvent dirigés vers l’immense camp de Gurs dans les Pyrénées-Orientales. « Venant de Toulouse, de Bordeaux ou de Limoges, des trains bondés déversent, en gare d’Auch, un flux incessant d’hommes de femmes et d’enfants. »
Au Houga, plusieurs familles juives ont trouvé refuge et ne semblent pas avoir été inquiétées. Par exemple : les familles Fernenbuk, Lattenbacher, Mayer, Simon et Swirsky. Plusieurs personnes qui assistent le 6 avril 2019 à la conférence de Gisèle Polya-Somogyi à la bibliothèque du Houga, se souviennent d’elles.
Pierre Feigl : Autichien de 10 ans au début de la guerre
L’histoire des Juifs déportés, massacrés de façon industrielle par les nazis déborde d’odyssées pleine de péripéties qui se terminent le plus souvent très mal.
Pour une fois, avec le livre de Gisèle Polya-Somogyi, Les petits réfugiés juifs du Gers, nous avons une histoire qui se termine sans la mort du personnage principal. L’auteure découvre l’existence de Pierre Feigl, né en 1929, dans un livre sur les déportés juifs qui contient son petit journal intime arrêté en 1942, tandis que lui-même a disparu. Résolue à présenter ce journal aux enfants dans une exposition organisée par Amnesty international, en leur disant ce qu’est devenu l’auteur, Gisèle Polya-Somogyi veut connaître la suite de l’histoire. Elle remonte la piste de Pierre Feigl, grâce aux rares noms de lieus contenus dans son journal.
Prodigieuse rencontre
Présumant qu’il est passé par le village protestant de Le Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), elle prend contact par Internet avec Pierre Sauvage, qui a tourné le film Les Armes de l’esprit sur ce village désigné par Israël comme une collectivité de Justes parmi les nations. Et voici que Pierre Sauvage connaît Pierre Feigl qui a tourné dans son film et vit en Floride ! Et voici que, dans le quart d’heure qui suit, Pierre Feigl, en personne, téléphone à Gisèle Polya-Somogyi !
Pierre Feigl lui raconte ce que fut sa vie pendant l’occupation, de refuge en refuge, et le sort de ses parents - ce qui mérite la lecture - mais serait trop long ici.
Gisèle Polya-Somogyi remarque, en conclusion, que trois mains se sont tendues pour le sauver : une main catholique, celle d’Anne-Marie Cavaillon, au refuge du château de Monteleone (maison des Quakers de Condom), une main protestante, celle du pasteur Daniel Trocmé au refuge du Chambon-sur-Lignon et une main juive, celle de Marianne Koch, qui accompagnait les convois d’enfants juifs traversant la frontière vers la Suisse. Et qui a été arrêtée par la Gestapo, torturée, mutilée et jetée dans un charnier.
Elle laisse une trace lumineuse pour des générations
Voici le poème – un pur joyau - qu’elle a laissé :
Je trahirai demain, pas aujourd’hui
Aujourd’hui arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne me faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir,
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui
La lime est sous le carreau,
La lame n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui, je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.
Marianne n’a pas parlé.