La Sologne a son écrivain, Maurice Genevoix (1), qui a décrit sa nature et sa vie sauvage. L’Armagnac a les siens, Joseph et Arnaud de Pesquidoux (2), père et fils. Pourquoi en parler aujourd’hui ? Parce que les éditions Montbel (3) rééditent un ensemble de leurs nouvelles dédiées à la nature et aux animaux sauvages de l’Armagnac – Chasses et chasseurs du Sud-Ouest grâce à leur petit-fils et fils, Bertrand de Pesquidoux.
Ouvrons ce livre : les animaux sauvages surgissent avec force et innocence. Ils naissent, grandissent, chassent, affrontent les dangers, s’accouplent. Tout cela est décrit avec vigueur, couleur, précision et un enthousiasme communicatif qui vient, on le sent, d’un amour profond de ce pays et de ses habitants.
Le lièvre
Le lièvre est là, dressé devant nous, il nous épie : « Le lièvre possède quelques particularités curieuses. Il a les incisives supérieures doubles, cinq doigts aux pattes de derrière, quatre à celles de devant, et les pattes postérieures plus longues que les antérieures ; les pieds en sont aussi plus étendus. Ce qui lui permet d’accélérer sa course en montant, ressource précieuse si l’on songe que sa défense dépend toute de sa vélocité, de la rapidité inouïe de ses bonds, et aussi de l’excellence de son ouïe, qui, servie par le haut cornet de ses oreilles, captant l’ombre même d’un son, l’avertit infailliblement du danger. Assis sur sa queue, les oreilles pointées, il entend respirer un oiseau. »
La bécasse
« La bécasse est timide, simple d’allure comme d’atours. Elle est accorte, cependant, rondelette et bien en chair. Rien qu’à la voir se couler sous les fougères, souple et dodue, on la devine savoureuse. (…) Elle possède un bec curieux et un œil émouvant. (…) Pour son œil noir et profond, peu mobile, et doux, infiniment doux, dont l’éclat est voilé dirait-on par un reflet éternel de l’ombre où elle se plaît, il a la mélancolie des yeux voués jeunes au trépas. »
Le renard surgit : « C’est une admirable bête carnassière. Allongée, basse sur terre, la tête triangulaire, les flancs évidés comme pour fendre l’air ; les jarrets descendus et bandés, l’échine d’une souplesse et d’un ressort inouïs, au point de se couler et de se tapir à l’instant, quelle que soit sa vitesse, pour échapper aux bonds des chiens, au jeu du plomb ; la poitrine profonde, emplie d’une haleine inépuisable presque... »
Le style : force, couleur...
Un feu d’artifice de mots forts, colorés, expressifs. Une langue belle et précise et pas seulement pour le lièvre, la bécasse et le renard. L’ouvrage ne s’arrête pas à la description des animaux, il décrit la chasse qu’ils pratiquent et celle que les hommes leur font. C’est, à chaque fois, le récit haletant d’une lutte dramatique où l’on apprécie au passage les coutumes des paysans gascons d’entre les deux guerres.
Même les champignons n’échappent pas au lyrisme de Joseph de Pesquidoux : « Ils sont jaune, orangé, pourpre, lilas, brun fauve et or, bistre, terre d’ombre, blanc tigré, blanc immaculé, virginal. Ils sentent bon, âcre, mauvais ou pire. D’aucuns ont un parfum d’œillet,, d’aucuns de musc, et ceux-ci une odeur de camphre ou de soufre, et ceux-là un relent d’ail. (…) ...ils poussent partout : parmi les neiges de l’Himalaya, dans les plis rugueux de son manteau, à l’air transparent et léger ; sous les forêts de l’Afrique étouffante, embuées d’émanations opaques ; sur les plateaux maigres aux broussailles rousses ; dans les vals moussus le long d’un ruisselet ; au pied trapu des chênes, au bas du tronc élancé des sapins... »
...vérité et précision
Le lecteur contemporain a pris l’habitude des rapides enchaînements d’actions, entrecoupées de maigres descriptions et habitées de caractères souvent superficiels. Il ne lit plus, il survole. Avec Chasses et chasseurs du Sud-Ouest, il plonge dans l’intimité profonde de « personnalités » fortes. Celles de l’isard, du sanglier, du putois, du chevreuil, de la bécasse, du hibou, de l’épervier et aussi dans celles des paysans chasseurs. Il plonge dans l’intensité de vies précaires, pleines d’émotions et d’orages, dans des vies vécues, non-imaginées. Contées avec ce style bien particulier, « pesquiducien », qui tisse des images inoubliables. Quoi d’étonnant si ces textes ont été donnés en dictée dans les écoles ?
Contexte de la réédition
Comme l’écrit Georges Courtès (4), les Pesquidoux sont une famille qui a dominé les lettres en Gascogne, pendant trois générations, soit près de 150 ans.
Le premier, Léonce Dubosc de Pesquidoux (1829-1900), connu dans les cercles littéraires parisiens, a traité trois thèmes : l’art (avec, notamment, un ouvrage sans cesse réédité, Voyage artistique en France), la politique (c’était un proche du comte de Chambord auquel il a consacré un ouvrage qui fait autorité) et la religion. À partir de son mariage en 1860, il quitte Paris, se retire au château de Pesquidoux à Perchède avec son épouse Olga (1845-1918). Elle-même écrit romans et nouvelles. Tous deux continuent à publier des ouvrages et des articles dans de nombreuses revues.
Leur fils Joseph (1869-1946), n’a pratiquement jamais quitté l’Armagnac après des études à Paris. Il réussit merveilleusement à faire passer sa passion de sa terre dans ses écrits. Lieutenant de réserve au 9e Régiment de chasseurs à cheval d’Auch – le Royal Gascogne – il s’engage à 45 ans pendant la guerre de 1914-1918, est promu capitaine et reçoit la Croix de guerre avec deux citations. En 1920, il publie un recueil de récits, Chez nous – qui obtient un grand succès de librairie et qui a été réédité récemment.
C’est pour des écrits comme celui-là, pour La Harde , Le Livre de Raison et tant d’autres, qu’il est surnommé « le Virgile gascon ». Il reçoit le Grand Prix de littérature de l’Académie française en 1927 et il succède à Jacques Bainville à la dite Académie en 1936.
Arnaud de Pesquidoux, fils de Joseph, journaliste, a tenu, dans le Monde, de 1947 à 1973, sous le pseudonyme de Jean Taillemagre, une chronique intitulée La Vie aux champs qui a eu beaucoup de succès. Ses textes ont été réunis dans plusieurs ouvrages : La Vie aux Champs (1ère et 2ème séries), Le Livre de la terre, Bestiaire de la terre, du ciel et des eaux. Durant de nombreuses années il a tenu, chaque matin, à la radio, une rubrique consacrée à la vie à la campagne. Il a été l’auteur de plusieurs films pour la télévision et de pièces sur la vie rurale.
Bertrand de Pesquidoux, son fils, entretient pieusement la mémoire de l’œuvre littéraire de sa famille. Après Chasses et chasseurs du Sud-Ouest, il a en projet de réunir des écrits de Léonce, Joseph et Arnaud sur des thèmes communs.
(1) Qui a succédé à Joseph de Pesquidoux à l’Académie française en 1947. (2) Joseph (1849-1946), de l’Académie française, Arnaud (1907-1997). (3) Libraire et éditeur spécialisé dans les beaux livres de chasse et de nature. (4) Président de la Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers, dans Balade en Midi-Pyrénées (éditions Alexandrines).