Le Clan centre socioculturel lance des cafés-débats. Le premier a lieu le 4 novembre sur un sujet passionnant pour beaucoup de Français et hautement controversé : la réforme de l’orthographe. Béatrice Pothier, l’intervenante, commence par déminer le terrain devant une assistance extrêmement attentive et concernée : il s’agit plus d’une rationalisation avec des rectifications et des ajustements que d’une réforme. Rationalisation relative à l’orthographe lexicale (celle du mot lui-même) et non à l’orthographe syntaxique (qui varie en fonction du rôle du mot dans la phrase).
Dans quel but ?
Ces rectifications ont pour but de permettre aux enfants d’acquérir plus facilement l’orthographe (soit 75 % de réussite aux tests) (1). L’intervenante note en passant que si le niveau des élèves du primaire est faible en orthographe, une des raisons en est sans doute qu’ils ont, actuellement, 140 jours de classe avec 850 heures de cours par an, alors qu’en 1894, c’était 233 jours et 1338 heures, soit 36 % de plus. Ils ont pourtant plus de matières au programme, comme l’informatique, une langue vivante, du sport etc.
Contrairement à ce que l’on croit généralement, la lecture ne facilite pas l’apprentissage de l’orthographe, mais la connaissance de l’orthographe facilite la lecture, car le sens est souvent donné à la lecture par l’orthographe différente des homophones (2) (3).
Quelles rectifications ?
L’étude Eole, (échelle d’acquisition de l’orthographe lexicale), réalisée par Béatrice et Philippe Pothier, un grand nombre d'enseignants et 50 000 élèves, liste les mots que moins de 75 % des élèves du primaire d’une classe donnée n’ont pas acquis. D’où l’idée de faciliter l’apprentissage de l’orthographe d’abord en rationalisant ce qui peut l’être. Il n’y a guère lieu de crier à la révolution : ce sont seulement 136 mots parmi les 12 000 les plus utilisés, qui sont touchés par les rectifications : par exemple, « chariot » s’écrit avec un seul « r » alors que les autres mots de sa famille (charrette, charroi etc.) en prennent 2. Désormais, « chariot » s’écrit « charriot ».
L’accent circonflexe supprimé dans certains cas
On simplifie en supprimant l’accent circonflexe là où il n’est pas présent pour le sens (dû et du) : « brûler » devient « bruler », « coûter », « couter », « naître », « naitre » etc. (3).
On supprime des traits d’union : « entre-temps » devient « entretemps ». Et hand-ball, « handball », basket-ball, « basketball », volley-ball, « volleyball », parce que les enfants s’appuient sur football. Citons aussi « millepatte » au lieu de « mille-patte ».
Certains trémas sont supprimés : « ambiguïté » devient « ambigüité ». Des accents sont modifiés : l’écriture « évènement » rectifie l’erreur « événement », qui avait fait tache d’huile, d’un imprimeur. Il se rapproche ainsi de son cousin « avènement ». De même, « allègrement », « allègement ».
Des accents sont mis sur des mots latins tels que « véto » et « sénior ». Et l’on simplifie les consonnes doubles, comme dans « renouvellement » qui devient « renouvèlement ». « corolle », « corole » (pour l’aligner, ainsi que « girolle » sur les autres mots en -ole). Sans oublier le son « ixe » dans « eczéma » qui s’écrit désormais « exéma » (comme examen, exact, exulter, exaucer etc.).
Ce n’est pas tout : à présent, on met des traits d’union pour tous les nombres (mille-cinq-cent-deux).
Toutes ces rectifications permettent à 75 % des enfants d’une classe (CP, CE1 et 2, CM1 et2) – les tests l’ont prouvé – de maîtriser plus rapidement l’orthographe. Ainsi peuvent-ils consacrer le temps gagné à d’autres apprentissages, comme l’analyse logique de la phrase et l’orthographe syntaxique.
La « réforme » est lancée pour de bon
C’est le bulletin officiel du 26 novembre 2015 qui a décidé que les élèves du CP apprendraient l’orthographe ainsi rectifiée à la rentrée 2016. Les enfants plus vieux et les adultes pourront continuer à écrire avec l’orthographe qu’ils ont apprise (5). Mais, ce serait, pour eux, faire preuve de souplesse d’esprit de s’adapter à la nouvelle. Celle-ci doit permettre à notre langue de rester vivante. Certains adultes, détenteurs du « Graal » de l’orthographe parfaite, se sentent-ils dépossédés de leur supériorité ?
Béatrice Pothier est docteur en sciences du langage et en sciences de l’éducation et membre d’organismes traitant de la Francophonie. Avec son époux, Philippe, mathématicien et informaticien, qui est également professeur de l’enseignement supérieur, elle a écrit, entre autres ouvrages, un petit livre sur l’orthographe rectifiée, en vigueur à l’école depuis la rentrée de septembre 2016 (4).
(1) On considère l’orthographe d’un mot acquise quand 75 % d’une classe d’âge l’écrivent sans erreur. (2) Mots qui se prononcent de la même manière. (3) « Il est sûr que cet abricot mûr se trouvait sur ce mur ». (4) « L’orthographe rectifiée à l’école » par Béatrice et Philippe Pothier (Retz). (5) Et si les élèves de CP qui ont appris l'orthographe rectifiée appliquent l'ancienne orthographe, on ne leur comptera pas d efaute...