« Oui, je suis bien là, on m'a même filmé et pris en photo pendant que je me promenais dans une réserve ornithologique ! »
En effet, après 100 ans d'absence, la présence d'un loup a bien été authentifiée en Gironde comme l'a annoncé un communiqué de la préfecture le 21 octobre.
La présence a été établie grâce à des images datant du 13 octobre capturées par un piège photographique installé dans la réserve naturelle ornithologique Terres d'oiseaux à Braud-et-Saint-Louis en Haute Gironde.
A ces clichés, viennent s'ajouter quatre brebis tuées à Terres d'oiseaux et une quarantaine de brebis attaquées dans le secteur depuis juillet.
L'autopsie des bêtes révèle le coupable : la prise à la gorge et l'ouverture de la cage thoracique pour manger en priorité le cœur, le foie et les poumons sont la signature du loup. Des informations qui prouvent qu'il ne s'agit pas d'un chien et qui permettent d'indemniser les éleveurs victimes des attaques selon le plan loup 2024-2029 qui a pour but de protéger à la fois l'espèce mais aussi les éleveurs.
D'après les observations, ce loup serait un jeune mâle expulsé d'une meute.
Depuis, le département de la Gironde est en alerte et cette présence alimente de vives discussions entre ceux qui sont inquiets et ceux qui se réjouissent du retour de cet animal.
L'occasion de revenir sur un animal qui a suscité depuis la nuit des temps des sentiments extrêmes.
Depuis l'antiquité jusqu'au milieu du 20e siècle, l'animal était considéré comme le pire ennemi de l'homme qui s'attaquait aux produits de l'élevage mais aussi aux hommes.
En France, on considère qu'il a fait des milliers de victimes.
Les autorités prennent des dispositions officielles pour lutter contre ce prédateur comme des battues au 19e siècle.
Le loup va être peu à peu éradiqué.
Chasse au loup dans le village de Saliers, Bouches-du-Rhône (13), 31 décembre 1860. Gravure dans 'Le Monde Illustré' n°196 du 12 janvier 1861
Son image va être redorée avec Le Livre de la Jungle dans lequel Mowgli est élevé par des loups.
L’animal n’est pas considéré comme une bête féroce, assoiffée de sang, mais comme un animal qui a le sens de la famille, qui vit en meute et respecte la hiérarchie. Il se nourrit de bêtes, mais pas d’humains.
Dans Croc-Blanc de Jack London, le loup a également une image positive, du fait d’une approche naturaliste. L’auteur montre en effet que le loup obéit seulement aux lois de la nature. Il incarne dans le livre, l’amour de la liberté et la haine de la servitude et de l’esclavage. Le lecteur éprouve de la sympathie face au courage du loup.
Croc Blanc film 1991
Au XXe siècle, de vrais spécialistes s’intéressent au comportement du loup. Celui-ci est en train de disparaître de France et aucune attaque volontaire d’un loup n’a été recensée durant ce siècle.
Le loup devient alors l'emblème du sauvage et celui de la biodiversité.
Les écologistes, défenseurs du loup, vont être à l'origine d'une réglementation européenne pour assurer sa protection.
Lorsque l'animal est revenu d'Italie en France, il est devenu espèce strictement protégée, toute personne le tuant étant sous le coup d'une amende voire d'une peine de prison.
Fin septembre 2024, les États membres de l'Union européenne ont donné leur feu vert pour abaisser le statut de préservation du loup, passant d'une « protection stricte » à une « protection simple ». Cette évolution, qui doit encore être approuvée en décembre lors d'une réunion de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage, préalable à toute éventuelle modification de la législation européenne, permettrait de « réguler » (c'est-à-dire éliminer) plus facilement les loups quand ils sont jugés trop nombreux dans certaines régions.
Mais les écologistes s'insurgent. Et les éleveurs ripostent...
On a même vu en Haute-Saône une lettre adressée à 1 500 éleveurs le 23 septembre par le président de la chambre d'agriculture du département, particulièrement remonté suite à de nouvelles attaques de troupeaux, qui incite les agriculteurs à « sortir armés » et à « taper un loup » s'ils en voient un.
Ces propos ont été immédiatement condamnés par la ministre de la Transition écologique, et les autorités préfectorales qui précisent que « tuer ou tenter de tuer une espèce protégée, dont fait partie le loup en France, est punissable jusqu'à trois ans de prison et 150.000 euros d'amende ».
Tout cela est la traduction d'un profond malaise du monde rural face à l'arrivée des meutes de loups
Le problème est d'autant plus complexe que personne ne s'accorde vraiment sur le nombre réel de loups. Si l'on en croit l'Office français de la biodiversité, leur population a été estimée à 1 003 individus fin 2023. Mais d'autres chiffres, non officiels, parlent plutôt de 2 000 à 2 500 loups dans l'Hexagone. Seule certitude en revanche : leur nombre a plus que doublé depuis 2018.
C'est pourquoi le gouvernement a mis en place, en février 2024, le nouveau plan national d'actions (PNA) 2024-2029 pour le loup. Ce plan prévoit, entre autres, d'augmenter les indemnisations pour les éleveurs avec en parallèle une simplification des tirs et un quota d'abattage resté inchangé, à 19 % de la population recensée chaque année.
Ce n'est pas assez pour le monde agricole et trop pour les écologistes.
La solution résiderait peut-être dans un compromis entre une protection stricte et une éradication, peut-être en repoussant le loup dans des régions où l'on éviterait des drames sociaux ou économiques...
Le sujet est loin d'être épuisé et l'animal va continuer longtemps encore à alimenter l'imaginaire collectif...
Pierre DUPOUY