Bernard Malabirade : « On a besoin de revoir certains cadres politiques »

Bernard Malabirade : « On a besoin de revoir certains cadres politiques »

Président de la Chambre d’Agriculture du Gers, Bernard Malabirade a bien voulu faire un petit tour de l’actualité agricole. Des sujets chauds sur lesquels il donne son avis.

- Président Malabirade, dans le dernier éditorial de LA VOLONTÉ PAYSANNE, vous dites à propos de Madame la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, que « son état de grâce va être bref, tant les sujets et les attentes sont forts et nombreux ». C’est à croire que ce poste ministériel est une bombe à retardement…

- On a un contexte agricole qui est dépressif, c’est le moins qu’on puisse dire, et particulièrement dans le sud de la France, et dans notre zone Gers. De par les successions de mauvaises récoltes, les pires moissons que l’on ait connues dans le département… donc on a une situation qui est catastrophique. De cette nouvelle ministre qui a le courage de prendre ce porte-feuille, on attend un maximum d’agilité, de bienveillance, des assouplissements des règles pour que les agriculteurs puissent passer ce cap… On attend des PGE (Prêts Garantie d’État) pour pouvoir relancer la machine. Il y a beaucoup d’exploitations qui n’ont pas les moyens de continuer. Donc il faut amener de la trésorerie avec une garantie d’État… Malheureusement, les décisions tardent. Et c’est ce que je regrette. On attendait, dès son arrivée, des annonces, mais ces annonces, aujourd’hui, traînent en longueur et cela a des conséquences catastrophiques. À titre d’exemple, je sais qu’il y a plusieurs dizaines d’agriculteurs qui n’ont pas eu les moyens de payer leur assurances multi-risques dont l’échéance était au 31 octobre, et qui, de facto, vont se retrouver sans aides européennes sur l’assurance… Cette non-décision entraîne des pertes de soutien sur des exploitations…

 

- Sachant que 70 % des céréales gersoises, en temps normal, sont vendues en Espagne, au vu des récoltes mauvaises dont vous parliez, cela va-t-il changer la donne ?

- Les flux commerciaux, c’est quelque chose de particulier. Nous avons quand beaucoup de céréales gersoises qui vont dans l’alimentation animale et l’alimentation humaine, localement. Parce que nous avons aussi des filières d’élevage qui sont consommatrices de ces céréales. Et puis un certain nombre vont vers l’Espagne, oui, parce que l’Espagne, c’est pas loin. Il est évident que le fait qu’il y ait 20 % de moins de blé planté l’an dernier, et en plus des très faibles rendements par rapport aux moyennes que l’on connaît, et bien oui, il y a moins de céréales à vendre. Effectivement, il y ara des marchés qui ne seront pas honorés. Et en plus, avec un niveau qualitatif qui est un peu déprécié. Tout ça, ce n’est jamais bon. Quand on ne peut pas servir un client, ce n’est jamais bon… Ça va avoir des effets sur nos coopératives et nos céréaliers qui vendent en direct également.

 

- L’Agriculture gersoise pèse environ 906 millions d’euros. Avec la hausse du budget « Agriculture », au niveau national, comment cela va-t-il se concrétiser pour le Gers ?

- L’Agriculture gersoise pèse 906 millions d’euros, mais elle remplie beaucoup moins d’assiettes qu’auparavant. Il y a beaucoup de terres qui produisent moins. Le passage en bio n’est pas innocent dans cette situation, des terres qui restent sans culture, des productions qui n’ont pas de marché… C’est quelque chose qui m’inquiète et inquiète tous les professionnels. On doit retrouver un sens à cette production, retrouver les vraies valeurs du métiers d’agriculteur, produire des biens alimentaires et non-alimentaires. On doit avoir aujourd’hui un sursaut dans ce sens-là… Il faut aussi qu’il y ait un cadre politique qui permet aux agriculteurs, malgré les effets climatiques, de continuer. Moi je dis que le système assurantiel, aujourd’hui, n’est pas à la hauteur malgré sa réforme de 2023. Il ne répond plus aux attentes… On a besoin de revoir un certain nombre de cadres politiques qui accompagnent les agriculteurs…

 

- Le 18 novembre prochain, à Rio, se tiendra le G20. Et l’on parle de plus en plus d’un accord entre la CE et le MERCOSUR. Voilà un autre sujet d’inquiétude…

- Bien sûr que ça nous inquiète chaque fois que l’on nous empêche de produire chez nous et que l’on nous importe de l’alimentation que nous ne voulons pas. Une alimentation qui n’est pas contrôlée, qui est faite avec des produits non autorisés en Europe. C’est ça que nous contestons dans ces accords internationaux. On sent bien que ce ne sont pas des accords commerciaux agricoles, ce sont des accords commerciaux industriels dont la monnaie d’échange sont les produits agricoles et alimentaires. Et ça, ça nous paraît inacceptable. S’il doit y avoir des accords commerciaux, nous souhaitons qu’ils ne concernent que les produits agricoles. S’il doit y avoir des importations, nous voulons que ce soit produit dans les mêmes conditions que celles que l’on nous impose au niveau national et européen. Voilà notre exigence, et nous ne lâcherons pas la-dessus. Ce MERCOSUR aujourd’hui est complètement déséquilibré au profit de l’industrie automobile, de l’aviation et peut-être des services bancaires assurantiels, avec une monnaie d’échange agricole, sur laquelle on s’autorise n’importe quoi… Au nom de la solidarité avec l’Ukraine, on va importer des poulets ukrainiens qui sont produits dans des conditions absolument déplorables, et nous, on nous empêcherait presque, de faire des poulets que les consommateurs veulent issus de notre territoire…

 

- À la mi-novembre, de grosses manifestations des agriculteurs sont prévues un peu partout, et notamment dans notre région. Certains parlent de bloquer Toulouse. Vous les soutenez ces agriculteurs ?

- Aujourd’hui, le désarroi des campagnes ne surprend personne. Que les agriculteurs aient envie de manifester leur mécontentement, cela me paraît plus que naturel. Après, il faut sensibiliser l’opinion sans prendre en otage les citoyens. Je pensa qu’il faut avoir aussi de l’intelligence au niveau des responsables agricoles, pour que nous puissions être revendicatifs, obtenir des choses, faire pression sur l’ensemble des élus, pour les gagner à notre cause sans les prendre en otage. Nous userons du droit de manifestation autant que de besoin, en essayant de gagner la solidarité et la compréhension de l’opinion, et pas se mettre en opposition à la population.

 

Propos recueillis par Jean-Marc RAMEL

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