Dr Maxime MAURY, Officier des Palmes académiques, Président de VIGIE Éco et Ancien directeur régional de la Banque de France.
« L’euro a protégé mais n’a pas stimulé »
(Christian NOYER, ancien gouverneur de la Banque de France)
En cette année d’élections européennes, cette question mérite d’être posée. Non pour faire peur ou annoncer des catastrophes, mais pour dire la nécessité de renforcer la construction européenne.
Dans notre précédente chronique que l’on retrouvera sur le site du CEPS, nous avons pris clairement position, comme Mario DRAGUI, pour une Fédération européenne qui semble aujourd’hui aussi indispensable qu’urgente.
I) L’euro, une monnaie sans gouvernement, n’a pas donné lieu à une zone monétaire optimale :
L’euro est né de manière pragmatique pour consolider le système monétaire européen sur la base de critères de convergence incomplets. Pas de projet d’union fiscale ou sociale, ni de projet « d’Europe-puissance » fondée sur une véritable souveraineté continentale. Dogme de la « concurrence libre et non faussée » que ni les États-Unis ni la Chine ne respectent.
Le Comité Nobel avait pourtant adressé un clin d’œil aux dirigeants de la zone euro en octroyant en 1999, année de la naissance de l’euro, le prix Nobel d’Économie à Robert MUNDELL pour ses travaux sur les « zones monétaires optimales » conçus plusieurs décennies auparavant.
MUNDELL avait observé que dans les zones monétaires la richesse avait tendance à s’accumuler au cœur de la zone selon le vieux principe : « l’argent va à l’argent ». Il en déduisait les risques d’un dysfonctionnement suivi d’un éclatement de la zone monétaire, sauf à corriger par deux conditions sur les trois du fameux « triangle de Mundell » l’insuffisance de conception :
- Une Union de transferts permettant de transférer du capital pour muscler la partie la plus faible de la zone ;
- Une intégration des titres d’épargne et de dette pour favoriser le financement des pays les moins développés ;
- Une Union fédérale, celle-ci comprenant par construction les deux conditions précédentes.
Ainsi les 14 premiers États américains indépendants ont constitué les « États-Unis d’Amérique » en mutualisant leurs dettes dans un dollar unique.
On pensait que l’euro corrigerait progressivement ses défauts de conception. Tel ne fut pas le cas faute de volonté politique.
II) Les égoïsmes français et allemands ont laissé divergé la zone euro jusqu’à la conduire au bord de l’éclatement en 2012 :
Les niveaux de vie relatifs ont divergé dans la zone euro entre le nord et le sud (d’environ 15-20 %).
La dette publique française diverge régulièrement de la zone depuis 2010. Cette divergence s’est aggravée depuis 2020 et menace la pérennité de l’euro.
Les égoïsmes français et allemand ont culminé au sommet de Deauville (2010) où l’euro est passé très près de sa fin.
En plein cœur de la crise grecque, les dénis se sont cumulés ainsi :
- Déni par le président français du respect du Pacte de stabilité (pacte budgétaire) que la France n’a jamais durablement respecté ;
- Déni par la Chancelière allemande de la nécessité d’une Union de transferts pour aider les pays les plus faibles.
Faute d’autorité fédérale, la zone euro s’est trouvée au bord de l’éclatement avec la crise dite des « dettes souveraines ».
L’euro a été sauvé de justesse par la seule structure fédérale européenne qui n’est pas une autorité politique : la B.C.E.
C’est ainsi qu’est née dans la bouche de son président Mario Draghi l’expression « quoi qu’il en coûte » (« whatever it takes ») par laquelle il s’engageait à acheter sans limites les titres de dettes en défaut éventuel pour sauver l’euro.
III) Pourtant à l’origine de l’euro, la France fait aujourd’hui courir un risque à la monnaie unique :
Le refus, jamais avoué, de respecter le Pacte de stabilité s’est aggravé depuis 2020 à la faveur de la crise sanitaire où le « quoi qu’il en coûte » a été plus dispendieux en France que partout ailleurs. Nos finances publiques ne reviennent pas en ordre et nous continuons à dériver par rapport à la zone monétaire.
Quelques chiffres édifiants :
L’économiste Marc TOUATI a fait les calculs suivants :
- Depuis 2008, la dette publique de la France a progressé trois fois plus vite que son PIB !
- Le poids de la France dans l’endettement public de la zone euro s’accroît régulièrement jusqu’à en représenter près du quart ;
- Depuis 2019, notre endettement /PIB a augmenté de 13 points contre 3 points seulement pour l’Allemagne et un peu plus de 3 pour la zone monétaire dans son ensemble. C’est insoutenable !
Nous divergeons fortement, faute de réformes structurelles sur la dépense publique. Et nous allons emprunter cette année 300 milliards pour servir la dette.
Jusqu’à quand ?
IV) Que se passerait-il dans l’hypothèse d’un défaut français ?
On estime qu’en 2027 les charges financières sur notre dette pourraient représenter 75 à 80 milliards d’euros du seul fait du roulement de la dette contre 50 milliards actuellement.
Notre dette est à 8 ans. Nous remplaçons en ce moment des titres de dette à 0 % par des titres de dette à 2,8 %.
Les taux d’intérêt court terme baisseront vraisemblablement au second semestre, mais n’entraîneront pas nécessairement une baisse des taux long terme. En effet, la BCE et la Banque de France réduisent la taille de leurs bilans (« quantitative tightening ») en renouvelant une partie toujours décroissante des titres échus dans leurs portefeuilles. Donc cela crée une pression haussière sur les taux d’intérêt long terme. La BCE et la Banque de France ont acheté les 3/4 des titres français émis pendant la crise sanitaire et les 2/3 de ceux émis depuis 2015.
Cette époque est révolue !
La Cour des Comptes estime donc que la France devrait économiser 50 milliards d’ici 2027 pour revenir dans les clous des critères européens. Mais M. Le Maire qui a fait 900 milliards de dettes depuis 2017 (!) s’est armé d’un « rabot » alors qu’il faut refaire toute la menuiserie de la maison.
Si la France devait se trouver un jour en défaut, notre faillite ne serait certes pas « à l’Argentine ». La BCE et la Banque de France interviendraient pour soutenir la dette française ; la procédure existe. Mais il y aurait nécessairement un plan européen de contrepartie. Il serait nécessairement drastique pour la France et la population qui n’est pas informée ne le comprendrait pas.
Pour éviter cette perspective délétère mieux vaudrait assumer la création d’une véritable Fédération européenne.
En mutualisant par une dette fédérale le financement de la transition énergétique adossée à une fiscalité européenne sur le carbone aux frontières.
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Dr Maxime MAURY
Officier des Palmes académiques
Professeur affilié à Toulouse Business School
Ancien directeur régional de la Banque de France