Par Dr Maxime MAURY
officier des Palmes académiques
professeur affilié à Toulouse Business School
ancien directeur régional de la Banque de France
On demandait un jour au grand psychanalyste Jacques Lacan de définir le « principe de réalité ». Et il répondait : « Le principe de réalité, c’est quand on en prend plein la gueule. »
Or à force de nier la réalité, c’est ce qui risque de nous arriver…..
I) Quand Mitterrand instaurait, en 1981, la retraite « à 60 ans », il y avait 3 cotisants pour 1 retraité. Il n’y en a plus aujourd’hui que 1,7 et demain 1,5. Ces retraités vont vivre 2O ans en moyenne avec une espérance de vie en augmentation ( + 2 ans depuis la dernière réforme de 2010).
Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) indique que le régime général sera prochainement déficitaire avec la mise en retraite des boomers, mais il oublie – et les médias avec lui- de signaler le déficit abyssal du régime de la fonction publique non provisionné.
Financé par le déficit public et l’endettement, son déséquilibre annuel est estimé à -30 milliards par la Cour des comptes.
Voilà pourquoi il est urgent de réformer les retraites !
Par ailleurs, la France est le pays de l’OCDE où l’on part le plus tôt en retraite et dans lequel la part des pensions dans le PIB est la plus élevée.
56 % seulement des seniors français sont au travail contre 73 % en Allemagne et plus en Scandinavie, soit des millions d’emplois perdus et des milliards de cotisations manquantes. Dans les pays qui nous entourent, l’âge de la retraite passera prochainement à 67 ans (Allemagne) voire 70 ans ( Italie et certains pays scandinaves).
II) Celles et ceux qui ont une expertise sur l’économie française savent que nous sommes dans une situation de « pré-faillite » : soit -150 milliards de déficit commercial l’an prochain et 270 milliards d’endettement public supplémentaire pour une impasse budgétaire représentant 1/3 des recettes de l’État.
Nous allons emprunter 8 561 euros par seconde (!) en 2023 pour 3000 milliards de dettes publiques avec des taux d’intérêt en hausse régulière.
Or 1% de taux d’intérêt en plus, ce sont 38 milliards supplémentaires à trouver à 10 ans selon le gouverneur de la Banque de France, soit l’équivalent du budget de la Défense nationale. A terme, si nous maintenons cette trajectoire mortifère le seul Ministère restant sera celui de la dette.
À côté de cette débâcle financière, on ne trouve plus de main d’œuvre en France et les gains de productivité dans l’industrie sont tombés à zéro par manque d’investissement.
Travailler plus et plus longtemps n’est donc pas négociable d’autant que tous les pays de la zone euro s’orientent vers une retraite à 65-67 ans. Dans le cas français, l’option des 4 mois de cotisations supplémentaires par an n’est pas négociable.
Mais tout le reste devrait être négocié !
Et c’est là que nous sommes au cœur de cette « névrose française » qui fait que le refoulé nous torture au point de nous placer dans le déni.
Non seulement la pénibilité, les carrières longues et l’accompagnement de la fin de la vie professionnelle doivent être négociés dans le détail. Mais l’âge devrait céder le pas sur la durée de cotisation.
III) Il faut surtout oser la question centrale qui est à la base du refoulé : pourquoi les Français ne sont-ils pas plus heureux au travail ? Et comment faire pour que le travail cesse d’être perçu comme une punition ?
Faute d’oser ce sujet, on est dans le refoulement: la colère et l’aveuglement collectif prennent alors le dessus sur la lucidité et la sagesse.
Ainsi dans son projet le CEPS propose-t-il la généralisation de la participation et de l’intéressement à toutes les entreprises, ainsi que l’octroi d’actions aux salariés pour les entreprises de plus de 100 salariés distribuant des dividendes.
En vérité, tout doit être fait pour associer le capital et le travail par la participation et la cogestion comme le voulait le général de Gaulle. C’est le cas en Allemagne.
Tout doit être fait par ailleurs pour décentraliser notre pays et négocier. La France bat le record d’Europe de la grève avec le plus faible taux de syndicalisation. Notre culture du conflit est régressive et suicidaire.
Ainsi parallèlement à la réforme des retraites, doivent être traités la question des super-dividendes et de l’écrêtement des rémunérations des dirigeants ( et des footballeurs !) qui se paient en millions d’euros alors que la sobriété devrait s’imposer partout en contrepartie de la transition énergétique.
L’idéal serait de traiter ces sujets dans le cadre européen, mais la désinvolture du gouvernement sur ces questions est déconcertante ( « Je ne sais pas ce qu’est un super-profit » , B. Le Maire) et ne peut qu’alimenter le rejet de la réforme des retraites pourtant nécessaire.
La taxation européenne des énergéticiens est bienvenue, mais le rejet par le gouvernement, dans le cadre du 49-3, d’un amendement de sa propre majorité sur la taxation exceptionnelle des super-dividendes est une faute symbolique et politique. Elle ne peut qu’alimenter la colère.
Pour autant cette réforme des retraites reste une urgence absolue : dans la trajectoire de redressement financier fournie à Bruxelles récemment, la France est en retard de deux ans sur les autres pays. Or la réforme des retraites « pré-vendue » à l’Europe par le gouvernement reste le seul élément tangible de redressement.
Attention aux attaques spéculatives sur les dettes française et italienne !
La crise financière en Grande Bretagne a confirmé que l’on ne pouvait prétendre raser gratis qui plus est en faisant des cadeaux aux super-riches.