Me voici un pied confiné dans le Gers et l’autre encore parfois à Bruxelles. Il n’est pas simple de garder la tête froide en ces temps difficiles, où cette épreuve collective ne risque pas seulement de nous contaminer les bronches mais également l’esprit.
Et si, dans le flot de règlementations « anti-covid », nous observions les différences entre les méthodes Gersoises et les méthodes Bruxelloises, pour essayer de tracer une forme de justesse. D’un côté comme de l’autre, et personne n’y reviendra : la distanciation, sociale ou physique, entre 1m et 2m selon les endroits. Le port du masque rendu obligatoire partout. Même si seul au milieu de la nuit, dans les rues désertes de Bruxelles à balader mon chien, je m’interroge sur la nécessite de protéger mes entrées pulmonaires. Mais je comprends. Je comprends surtout qu’une règle doit être simple et valable partout pour éviter toutes discussions. Ah ! La discussion… Voilà un passe-temps que nous faisons nettement moins bien en Belgique qu’en France, où je découvre de plus en plus que le sport national n’est ni le rugby, ni le foot, ni la pétanque… mais le débat ; et qui doit être le plus animé possible, avec de préférence un brin de mauvaise foi et une bonne pincée de colère. Bien entendu, on doit débattre, il faut débattre ; mais discuter ce n’est pas forcément tout faire pour avoir raison, c’est aussi parfois tout faire pour arriver ensemble à une vision partagée. À quoi ça sert d’avoir raison tout seul ?
Poursuivons. Plus on entre dans les détails des différentes réglementations en vigueur et plus cela se complique : au pays de d’Artagnan, il faut une attestation, écrite sur l’honneur et éditée en ligne ou imprimée. Je ne jugerai pas cette attestation comme trop procédurière. Je pense que l’idée de devoir poser calmement une justification écrite, met chacun devant sa responsabilité. En Belgique, pas d’attestation, on se balade de Knokke à Anvers, de Liège à Bruxelles en toute liberté… jusqu’à 22 h. À cette heure-là, il y a un couvre-feu. Tiens, cela me rappelle La Zehnerglock ou Judenglock à Strasbourg qui sonne tous les soirs à 22 h 00 pile. Longtemps utilisée comme couvre-feu pour empêcher les incendies, elle fut également, jusqu'à la révolution, une alarme pour sommer aux juifs de quitter la ville, la nuit tombée... Cette cloche sonne désormais tous les soirs à Strasbourg et c'est une des seules en France à sonner la fin des activités commerçantes et d'inciter ses habitants à aller se coucher ! Et bien en Belgique à 22 h, c’est dodo !
Mais toutes ces différences, et bien d’autres encore, ont parfois du mal à passer auprès de chacun. Beaucoup se demandent encore quelles en sont les utilités. Beaucoup essayent de contourner ces quelques règles. Si on y pense, au fond la seule règle importante en ce temps de Covid, c’est d’éviter les contacts sociaux. Beaucoup oublient que tout ceci n’a qu’un seul objectif : freiner la trop rapide progression de ce virus. Et que c’est la seule façon de ne pas contaminer ceux qu’on aime.
Ah j’entends l’écho des plus sceptiques, de ceux qui refusent de plus en plus de croire à tout cela. Qui ont « une autre opinion », « qui ont une idée bien précise de ce que tout ca veut dire… » ; de ceux qui nous préviennent déjà que « tout ceci n’est pas par hasard », et « qu’on verra bien ce qui va nous arriver ». Ils sont partout, on en trouve dans nos deux pays et même ailleurs ; ils défendent l’idée qu’on ne doit plus croire dans tous « ces médias dominants » ni en la Justice d’ailleurs, ni dans les Journalistes en général, ni dans les Scientifiques bien entendu qui sont tous à la solde de tout ce qui est Big et nous dépasse, ni dans plus aucune autorité. Parce que croire en l’autorité serait se soumettre à celle-ci, aux puissants et à tout un tas de choses qui nous dépassent, tellement elles sont puissantes.
Et après tout, la Liberté est notre devise absolue et rien ne doit l’entraver. C’est vrai. Mais n’oublions pas que la recherche de la vérité, cela prend du temps et cela ne se trouve pas forcément en un click.
Et donc, nous voilà dans une société où l’Opinion est devenue la seule référence de penser. Mon opinion contre la Tienne, ce qui déjà est un coup de canif à la liberté, puisque dans cette dualité, la liberté individuelle vient étouffer le concept d’égalité. Ce qui est vrai, n’est plus le fruit d’une vérité étudiée, vérifiée, contrôlée et re-vérifiée plusieurs fois encore. Ce qui est juste, n’est plus passé par les arcanes des institutions de référence. La vérité d’un événement ou d’un fait ne repose que sur l’opinion non vérifiable et à travers le seul prisme de la subjectivité. Ainsi nous ne cherchons pas à en savoir plus, et mieux ; nous recherchons ceux qui pourront nourrir et conforter notre point de vue unilatéral. Et il faut avouer que les algorithmes des réseaux sociaux nous y aident bien. Eux qui machinalement ne nous enverrons que des informations qui collent parfaitement à notre pensée du moment et qui vont tout naturellement dans notre sens.
Et cela me désole.
Ce que je lis, ce que j’entends me donne l’impression de vivre dans un confinement de la pensée. Un enfermement, une bulle où chacun campe sur son Opinion. Les échanges ne sont plus possibles et les débats virent assez vite à l’attaque personnelle. Tout cela parce que l’opinion est toujours fondée sur une grande part d’émotion ; l’opinion ne se contente pas de rassembler les faits objectifs, elle fabrique histoire autour d’eux en incluant d’office notre part sensible, notre part émotionnelle ; cette pensée se soumet ainsi à ses propres peurs, ses peines, à ses joies, à ses désirs à tout…. sauf à la froideur des faits établis et des hypothèses filtrées par un esprit critique détaché de toute passion.
Ainsi ce confinement ne m’apparaît pas seulement comme un arrêt sur image de la vie quotidienne avec l’intime espoir de voir bientôt le retour des plaisirs sociaux. Non, il m’apparaît de plus en plus comme l’enfermement de chacun dans sa bulle de pensée, et que le retour « à la normale » ne fera pas éclater.
Bien entendu, sous peu, même après une 3e vague, nous sortirons sains et saufs de cette crise sanitaire. Nous bénéficierons d’un vaccin et nous aurons appris quelques leçons pour une éventuelles prochaine épidémie.
Mais nous ne sortirons pas indemnes de cette agitation. À chaque événement, à chaque nouvelle, à chaque information que le monde produira, qui prendra le temps de la réflexion ? Qui se donnera le temps de l’analyse ? Qui osera prendre le recul nécessaire pour ne pas se jeter immédiatement dans le brouhaha des opinions ? Qui osera dire : « je ne sais pas, je n’ai aucune idée, j’attends encore pour conclure » ?
La vérité a besoin de temps, il n’y a heureusement pas de vérité toute faite.
Aujourd’hui et à cet instant, ma vérité est le bonheur de me trouver ici dans le Gers où s’écoulent les derniers rayons du soleil.