Joël Guyonneau habite dans la Haute-Garonne. Après quelques années dans l’Armée, il fait toute sa carrière dans les Télécoms. Il s’intéresse à l’Histoire et, notamment à celle de la Première Guerre Mondiale, pour des raisons familiales. Il fait aussi des recherches généalogiques en Haute-Garonne et, il y a 10 ans, il tombe sur des listes de populations étrangères et note ce qu’il découvre. Puis rien ne se passe pendant 10 ans, jusqu’à ce qu’un article paru cette année dans la presse au sujet d’un Juste l’incite à reprendre ses anciennes recherches. Et depuis, il a pu contacter des familles dont des membres ont participé au kibboutz de Bouzon-Gellenave. Voici un premier article de Joël Guyonneau sur ce sujet, accompagné d’images émouvantes, surgies d’un passé pas si lointain.
« L'expérience des kibboutz (exploitations agricoles collectives de type socialiste) ayant fonctionné en France entre 1933-1938 a presque totalement disparu de la mémoire collective. Elle fut pourtant La Route du sauvetage (Die Strasse zur Rettung), pour reprendre le titre du livre publié en 1973 par Perez Leschem.
Vingt-six jeunes juifs étrangers (Allemands, Polonais, Russes, Roumains etc.) ont été recensés en mars 1936 sur une exploitation agricole, à Bouzon-Gellenave, au lieu-dit Lartigolle. Selon le document fourni par la Maison des combattants du ghetto en Israël, il s'agit du kibboutz « Hasséla » (le Rocher) qui reçoit, le mois suivant, le renfort de 16 jeunes venus du kibboutz « Namschich » de Montaigut-sur-Save, à la suite de sa fermeture.
Les persécutions (pogroms) dans l'Europe de l'Est, puis l'arrivée au pouvoir de Hitler en 1933, ont provoqué un exode massif des Juifs persécutés. La Grande-Bretagne étant chargée d'administrer la Palestine, avec le mandat de la Société des Nations après la Première Guerre Mondiale, l'organisation mondiale du Hehalouts (les Pionniers) crée une section française (association loi de 1901) le 30 décembre 1933, et collecte des fonds pour développer la formation, essentiellement agricole, des jeunes fugitifs. La création des kibboutz n'était qu'un volet de son action. La formation agricole acquise permettait d'appuyer les demandes de visas à l'autorité britannique. Le premier kibboutz, « Haolim » (les migrants), s'installa à la fin de 1933 à la frontière franco-luxembourgeoise. Le 6e et dernier kibboutz, « Hasséla », vit le jour au cours du second semestre 1935.
Installation de « Hassela »
Un article de la plume de Jehuda Veksler, dans la Tribune juive du 4 avril 1937 (de Strasbourg) décrit avec emphase l'installation de « Hassela » :
« À 1200 km environ de Strasbourg, à côté du hameau Saint-Gô (Gers) se trouve le kibboutz «hachkara Hasséla» (professionnel Le Rocher). ... On n'y voit jamais des curieux qui viennent voir la vie et le travail de cette vingtaine de jeunes gens qui ont quitté leur foyer, leur travail ou les bancs de l'école pour s'initier aux travaux durs de l'agriculture... La ferme est immense. Imaginez-vous une superficie 180 fois plus grande que la place de la République, à Strasbourg : forêts, près, vignes, champs, landes.... Il y a plusieurs maisons, dont la principale est entourée d'une grange immense et des étables qui abritent une cinquantaine de têtes : bœufs et vaches de travail, vaches laitières, veaux, mulets, etc... Les maisons sont entourées de vignes qui s'échelonnent en longues lignes symétriques, si belles en été, toutes florissantes, toutes brillantes de lumière ou de pluie... »
Suit une charmante description du travail de la vigne...
« En agriculture, il n'y a presque pas de trêve, on travaille toujours : en hiver, on taille la vigne, on laboure, on coupe du bois, la litière, au printemps, commencent les travaux urgents pour ne s'achever qu'au commencement d'hiver : les semailles, le hersage. En mai, commence la rentrée du foin qui dure à Hasséla deux mois au moins (il y a 40 ha de prés). Après, survient la moisson, la vendange, la récolte du maïs, des betteraves, pommes de terre etc. Le travail presse toujours. Le travail est dur, rien à dire. Surtout en été, par 30 degrés de chaleur parfois... »
Plusieurs compagnons firent un stage chez un viticulteur du voisinage pour s'initier au métier.
Comment ces jeunes gens étaient-ils vus pas les villageois, difficile de le savoir, mais probablement mieux que leurs camarades sur d'autres sites... Une certaine presse dénonça ces « colonies allemandes », cette « 5e colonne » qui menaçait la sécurité intérieure. D'autre part, ces filles travaillant en short et ces chants incompréhensibles peuvent avoir porté le trouble.
« Nous avons signalé l'existence d'une colonie d'Allemands installée près de Toulouse qui vient enfin d'être dispersée. (le kibboutz « Chuljah » à Plaisance-du-Touch) ...Ils passent leur temps à explorer le pays, à faire des photos et des dessins, pendant quelques heures, ils font des exercices soi-disant de culture physique commandés par l'un des leurs... ». (l'Echo de Paris - 2 déc 1934).
Généralites sur le mode de vie
À Lartigolle, les conditions de vie étaient spartiates, mais supportables pour des jeunes dans la force de l'âge. Une grande joie de vivre transparaît sur toutes les photos d'époque.
La journée débutait par une séance de gymnastique de 6 heures à 6 h 30. Ensuite : cours d’hébreu jusqu’à 7 h 30, puis travail aux champs de 8 heures à midi et de 13 heures à 17 heures. Enfin, entre 17 heures et 19 heures, on travaillait de nouveau l’hébreu. L’objectif ultime étant l’Alijah (la « montée » vers Israël). On mettait aussi l’accent sur la culture hébraïque, en plus du travail de la terre.
La présence de quelques jeunes filles entraîna naturellement des idylles et six mariages civils furent célébrés en mairie, en 1936 et 1937 : d’où de précieux documents qui nous renseignent sur l'origine des époux et leur parents, sans oublier les témoins. Ainsi, il est possible de retracer leur parcours, mais souvent aussi de découvrir le destin tragique de certaines familles.
Un prochain article leur sera consacré. »
N.B. - Les photos présentées ont été communiquées à Joël Guyonneau par Madame Michal Froimovici sous copyright en Israël de Michal Froimovici. La photo du haut de page montre le siège du kibboutz, au lieu-dit Lartigolle, à Saint-Gô.