Histoire de MURET : la bataille du 12 septembre 1213

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A l'approche des élections régionales, un petit rappel historique : la bataille de Muret

 

Le 12 septembre 1213, durant la "Croisade des Albigeois", le Seigneur Français Simon de Montfort affronta au cours d'une bataille décisive le puissant Roi d'Aragon Pierre II venu à la rescousse de son beau-frère et vassal Raymond VI, Comte de Toulouse. Cette bataille sera lourde de conséquence : Aragon sera vaincu par Simon de Montfort, le roi lui-même perdant la vie durant le combat. Cette cuisante défaite mettra un terme à l'extension territoriale d'Aragon vers le Nord, et au cours des siècles suivant, les terres Occitanes du Nord des Pyrénées passeront alors petit-à-petit sous influence Française.

Retour au 13ème siècle, petite piqüre de rappel pour comprendre l'origine du divorce entre Catalans et Occitans, ou plus exactement, comprendre comment les Occitans sont devenus... Français !

 

L'Occitanie, comme la France, sont deux entités latines nées sur les ruines de l'ancienne Gaule de l'Empire Romain après la chute de celui-ci, chute consécutive de l'invasion des peuples Germaniques, en particulier les Goths qui prennent Rome au Vème siècle (476). A l'Ouest, les Goths vont alors choisir Toulouse pour capitale et fonder le Royaume Wisigoth, qui à l'époque comprend non seulement la Gaule (au Sud de la Loire) mais également l'Hispanie (Péninsule Ibérique).

Profitant opportunément de l'effondrement de l'Empire Romain, les Francs vont traverser le Rhin, s'installer dans ce que l'on appelle aujourd'hui la Belgique, la Lorraine et la Picardie, et prendre Tournai pour capitale.

 

Au 8ème siècle, avec l'expansion de l'Islam, le Royaume Wisigoth s'effondre, les Omeyyades occupant alors rapidement et durablement les 3/4 Sud de la Péninsule Ibérique. Toutefois, la zone Gauloise du l'ex-Royaume Wisigoth reste relativement autonome : il y a d'une part le Duché d'Aquitaine (capitale : Toulouse) qui, profite de l'effondrement du Royaume Wisigoth pour s'émanciper et devient alors une province indépendante. D'autre part, les Wisigoths conservent de leur immense Royaume uniquement une zone entre Carcassonne, Nîmes et Barcelone : cette "Gothalonia" réduite est parfois aussi appelée "Septimanie".

C'est peu après ces évènements que l'on trouve les premières traces écrites de ce que l'on appelle aujourd'hui le français et l'occitan : manifestement, au 9ème siècle, il existe une diglossie entre ce qui est supposé être la langue officielle en Europe Occidentale, le latin, et la langue réellement parlée par le peuple ! au Nord de l'ancienne Gaule, des écrits (serments de Strasbourg) témoignent de l'existence d'une langue désormais distincte du latin, que l'on appellera beaucoup plus tard le français, tandis qu'au Sud de la Loire, dans le Duché d'Aquitaine et la Septimanie, ce que l'on nomme aujourd'hui l'occitan allait connaitre à partir de cette période une expansion fulgurante, avec une apogée à l'époque des troubadours.

 

Politiquement, c'est durant ce même 9ème siècle que Charlemagne réunit au sein d'un même Empire la Chrétienté ; Aquitania et Gothalonia (aujourd'hui : Aquitaine et Catalogne) perdent alors leur indépendance et deviennent alors des provinces autonomes mais fédérées à l'immense Empire Carolingien.

Au sein du Royaume (Duché) d'Aquitaine, Charlemagne fonde le Comté de Toulouse. Le Royaume d'Aquitaine est donc, sous Charlemagne, divisée en 3 : Comté de Toulouse, Duché d'Aquitaine à proprement parler (capitale : Poitiers), et Duché de Vasconia (aujourd'hui : Gascogne ; capitale : Bordeaux), la Vasconie qui correspond à l'époque à la zone basque sous administration Carolingienne.

 

Au fil des siècles, le Comté de Toulouse va prendre de l'importance au détriment de l'Aquitaine et surtout de la Septimanie / Gothalonia, qui en compensation se développera vers le Sud (Comté de Barcelone, puis Royaume d'Aragon).

Au 12ème et au 13ème siècle, le Duché d'Aquitaine, le Comté de Toulouse et le Royaume d'Aragon sont devenus les 3 entités politiques majeures de l'Europe Occidentale Chrétienne. Toulouse, troisième ville d'Europe, est la capitale d'un Etat qui s'étend à l'Est jusqu'à la Provence (Nîmes). Toutefois, les Catalans revendiquent eux aussi la Provence (Marseille), ce qui engendre un conflit armé avec les Toulousains. Les Ducs d'Aquitaine, eux, sont entre-temps devenus aussi Ducs de Normandie et Rois d'Angleterre (dynastie des Plantagenêts), et commencent alors à s'affronter avec leur voisin Parisien (Capétien) qui lui, entre-temps, a usurpé au dernier Carolinigien le titre de "Roi de France".

 

Au 12ème siècle, le Comté de Toulouse est théoriquement vassal du Royaume de France, puisque ce Comté dépendait du Royaume d'Aquitaine lui-même fédéré à la Francie Occidentale du temps de l'Empire Carolingien. Or, c'est en réalité un Etat complètement indépendant. De fait, fidèles à la dynastie Carolingienne, Toulouse et Barcelone ne reconnaissent pas vraiment l'usurpateur Hugues Capet et ses successeurs comme légitimes "Rois de France", et lorsque certains lui rendent hommage (comme le Comte de Toulouse), ça reste un acte purement symbolique, sans conséquence politique réelle : en réalité, Toulouse est plus dans la mouvance Catalane du Royaume d'Aragon que du lointain Royaume de France désormais centré sur Paris.

Quand à l'Aquitaine, c'est pire ! d'une part, dans un premier temps, comme Toulouse et Barcelone, la destitution du dernier Carolingien par Hugues Capet n'est pas vraiment acceptée, et de ce fait, la fin de l'unité de l'Empire Carolingien est interprété par les Ducs d'Aquitaine comme une acceptation tacite de l'indépendance de leur Duché. Par ailleurs, à partir de 1200, Jean-sans-Terre, succède à son frère Richard Cœur-de-Lion. Or, son épouse étant une descendante directe de Hugues Capet, à partir de cette époque, les Plantagenêts pourront prétendre légitimement au titre de Roi de France !

 

 

Au 13ème siècle, il y a cette fameuse "Croisade des Albigeois". Le Roi de France n'intervient pas directement (il a d'autres chats à fouetter avec son voisin et cousin Plantagenêt Anglo-Aquitain). C'est le seigneur catholique Français Simon de Montfort qui est à la tête de cette fameuse croisade : le jeu en vaut la chandelle, car sous prétexte de combattre l'hérésie Cathare, le Pape Innocent III lui a promis de faire de lui le propriétaire des terres hérétiques conquises par la force ("exposition en proie"). Ce qui n'est pas du goût du Comte de Toulouse, et pour cause, puisque ces fameuses terres hérétiques "Cathares", jusqu'à preuve du contraire, ce sont les siennes ! c'est alors qu'intervient Pierre II, le Roi d'Aragon. Pierre II, lui, est un bon catholique, il est même aux premières loges en ce qui concerne la reconquête sur les musulmans en Hispanie ! contrairement à son beau-frère le Comte de Toulouse, il n'a pas de casseroles "hérétiques" : le pape n'a rien à lui reprocher, c'est un très bon catholique, c'est donc en toute légitimité que Pierre II intervient en Comté Toulousain pour mettre un frein à l'ambitieux Français Simon de Montfort, dont on se demande de plus en plus si son objectif n'est pas davantage de faire main basse sur le Comté de Toulouse plutôt que de combattre l'hérésie Cathare.

Simon de Montfort va affronter dans une bataille décisive Pierre II d'Aragon et Raymond VI de Toulouse à Muret le 12 septembre 1213.

L'analyse de cette bataille est intéressante, car sur le papier, l'armée du Seigneur de Montfort ne pèse pas bien lourd face au cumul de celle du puissant Roi d'Aragon avec celle du Comte de Toulouse.

 

 

Pourtant, contre toute attente, les Aragonais perdent cette bataille au cours de laquelle Pierre II lui-même meurt ! avec le recul, il faut bien faire la part des choses... Certes, l'envahissant Français Simon de Montfort enquiquine sérieusement Raymond VI de Toulouse : sous prétexte d'hérésie Cathare sur ses terres, le Comte de Toulouse a l'impression d'être le "dindon de la farce". Ceci étant, au delà des apparences, s'il y a bien quelqu'un dont Raymond VI se méfie, c'est bien de son puissant voisin et beau-frère, le Roi d'Aragon Pierre II ! en effet, depuis plusieurs décennies, Aragon et Catalogne progressent vers le Nord, parfois en s'affrontant directement par les armes avec Toulouse : la Provence, le Gévaudan, Millau, le Comté de Foix, le Béarn, Montpellier sont en ce début de 13ème siècle devenus vassaux ou ont été directement incorporés au Royaume d'Aragon... Les terres Toulousaines sont chaque jour davantage enclavées au milieu des possessions Catalanes-Aragonaises ! pire, depuis 1203, Raymond VI de Toulouse est le beau-frère de Pierre II d'Aragon ; donc, l'héritier du Comté de Toulouse sera probablement de sang royal Aragonais, puisque petit-fils et neveu des Rois d'Aragon ! du coup, par cette descendance hypothétique, Aragon pourra plus tard prétendre à revendiquer le Comté de Toulouse ! alors, certes, Raymond VI est confronté depuis 1209 à l'invasion sanglante du Seigneur Français Simon de Montfort... Mais paradoxalement, l'intervention militaire de son beau-frère et "allié"' Pierre II d'Aragon s'apparente aussi, vu du côté Toulousain, a une annexion prématurée du Comté de Toulouse par les Catalans ! aussi, avec le recul, ce contexte particulier peut expliquer cette surprenante défaite de Muret de 1213, où le "David" Simon de Montfort terrasse le puissant "Goliath" Aragonais : car si sur le papier, Aragon et Toulouse avaient une nette supériorité numérique, sur le terrain, les chroniqueurs de l'époque rapportent une curieuse bataille, dans laquelle finalement, les Toulousain n'interviennent pas, laissant les Français tailler en pièce les Catalans, dont Pierre II lui-même !

La Croisade des Albigeois a laissé des traces durables dans l'histoire. D'abord, elle marque le début du divorce entre Occitans et Catalans. Outre la probable "trahison" de la bataille de Muret durant laquelle les Toulousains ne seraient pas intervenus pour soutenir leur "sauveur" Catalan (Pierre II d'Aragon) en difficulté face aux Français, la conséquence politique la plus directe aura été un discrédit de la puissance Aragonaise, et à moyen terme, la perte de tous les territoires Aragonais du Nord des Pyrénées, principalement au profit de l'Aquitaine... ou du Royaume de France (la France Capétienne et l'Aquitaine des Plantagenêts étant à ce moment là en conflit... un conflit héréditaire qui durera jusqu'à la fin de la Guerre de Cent ans, en 1453 ! mais ça, c'est une autre histoire).

 

Mais si le calcul de Raymond VI était d'essayer de préserver coûte-que-coûte l'indépendance de Toulouse vis-à-vis de son envahissant voisin Aragonais, le problème est que, au final, Toulouse a quand même perdu son indépendance : le Comté est finalement rattaché au Royaume de France en 1271 ! en effet, la petite fille de Raymond VI, Jeanne de Toulouse, héritière du Comté, est mariée à Alphonse, frère du Roi de France (St-Louis). Par cette alliance, et en l'absence d'héritier, Toulouse passe directement dans le domaine Royal ! Et c'est ainsi que les terres Toulousaines sont passées à la couronne de France, et ont alors été rebaptisées "Pays de langue d'oc", simplifié au cours des siècles en "Languedoc", en latin "Occitania" (traduit par "Occitanie" en français moderne).

Donc, voilà comment le Comté de Toulouse du 13ème siècle, qui à l'époque allait jusqu'à la Provence (Nîmes), est devenu une province Française, le Pays de Langue d'oc (= Occitanie). Originellement, le "Languedoc", c'est donc tout simplement  l'Occitanie Française du 13ème siècle.

Ceci étant, il convient de clairement faire la distinction entre la zone où est (était) parlée la langue Occitane, et les découpages administratifs / politiques de l'époque ! car au delà de ce qu'a retenu l'Histoire, en fait, jusqu'à ce fameux 13ème siècle, que ce soit dans le Royaume d'Aragon, le Duché d'Aquitaine ou le Comté de Toulouse, les Toulousains, les Gascons, les Aquitains, les Catalans, les Provençaux et même les Aragonais... tous parlaient peu ou prou la même langue, de Poitiers à Marseille, de Toulouse à Saragosse, de Pau à Montluçon, de Barcelone à Bordeaux : la "langue d'oc", c'est-à-dire l'occitan.

Par extension, aujourd'hui, on appelle rétrospectivement "Occitanie" l'intégralité de ces territoires où l'occitan est / était d'usage.

Par rapport au 13ème siècle, l'Occitanie a reculée au Nord-Ouest dans le Poitou et la Saintonge, tandis qu'au Sud, bien évidemment, il y a eu un "divorce" avec les Catalans, divorce qui ne sera définitivement acté qu'en 1934 à Manresa.

 

Voilà en quoi la "Croisade des Albigeois" a scellé le destin des Toulousains, en quoi la défaite Aragonaise a éloigné Toulouse des Catalans pour les rapprocher jusqu'à aujourd'hui des Français. Voilà comment les habitants du Comté de Toulouse, du "Pays de Langue d'oc", donc "les Occitans", sont devenus sujets du Roi de France au 13ème siècle, tandis que au Sud des Pyrénées, les Catalans restaient sujets du Roi d'Aragon. Ironie de l'Histoire quand on songe au paradoxe que le mot "Catalogne" vient du latin "Gothalonia", "Pays des Goths", dont la toute première capitale fut Toulouse !

L'Occitanie politique la veille de la Croisade des Albigeois.jpg
L'Occitanie politique la veille de la Croisade des Albigeois.jpg
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