Cérémonie du 11 novembre 2021 à Blousson-Sérian.
Jeudi 11 novembre 2021, les élus du village ont célébré la cérémonie de l’Armistice de la Première Guerre mondiale. Entouré d’une dizaine d’habitants, le maire Christian Luro lut le discours officiel rendant hommage aux soldats morts pour la France. Une élue du village cita les quelques noms gravés sur la pierre du monument aux morts. Puis ce fut la minute de silence. Et la Sonnerie aux morts. Les musiciens de Marciac interprétèrent aussi La Marseillaise et La Madelon, en hommage à ces personnes disparues tragiquement il y a plus d’un siècle.
Mais qui sont ces personnes qui ont perdu la vie à cause de la guerre ?
Louis Daubèze (28/02/1891-14/03/1915), Paul Porterie (05/02/1896-09/07/1916), Victor Ponsan (13/04/1885-21/04/1917), Paul Barenne (06/03/1884-04/08/1917) et l’abbé Colin ( -05/04/1918) sont les noms immortalisés sur le monument aux morts.
Trop de morts pour un si petit village.
Actuellement, le village de Blousson-Sérian compte moins d’une cinquantaine d’habitants. Il y a plus de 100 ans, il y avait pratiquement 130 blousérianais avant la guerre. Le conflit fut terriblement meurtrier. Comme partout en France, ce territoire vit de trop nombreuses familles endeuillées, leurs enfants envoyés sur le front des combats vers une mort évidente.
Blousson-Sérian, garde la mémoire de ses « morts pour la France ».
Parmi eux, des jeunes citoyens, qui pour la plupart furent recrutés à Mirande, où ils avaient fait leur service militaire.
Il y a Louis Marie Daniel Daubèze, né le 16 février 1891 à Blousson-Sérian. Sergent de la classe 1911, matricule 477, il partit aux combats avec les soldats du 88e régiment d’infanterie. Mais il n’est pas mort dans les tranchées. Il est mort à l’hôpital de Mirande : le 16 février 1915, le jour de ses 24 ans, d’une appendicite et péritonite contractées aux armées.
Il y a aussi Maurice Alexandre Paul Porterie, né le 5 février 1896 à Blousson-sérian. Agriculteur, fils de Sylvie Porterie, il fut mobilisé sous les drapeaux à compter du 12 avril 1915. Il intégra le corps des armées françaises le 13 avril 1915, en tant que soldat de 2e classe. Il passa au 6e régiment d’infanterie le 29 mai 1916 pour aller sur l’une des pires scènes de combat disputée aux allemands. Et sera rayé des contrôles le 26 juin. Ce Soldat, matricule 938, mourut à la Côte 304, dans la Meuse, le 25 juin 1916, aillant donc à peine 20 ans.
Victor Marie Albert François Ponsan, lui, est né le 12 avril 1885. De la classe 1905, il avait été recruté aux bureaux de Mirande sous le matricule 446. Il fut 2e canonnier servant dans le 267e régiment d’artillerie. Il est mort le 26 avril 1917, à 32 ans, à Combrimont dans les Vosges, tué par des éclats d’obus.
Quant à Paul Casimir Barenne, il est né le 6 mars 1884. De la classe 1904, lors de son service militaire, il avait le n° de matricule 472. Le 1er octobre 1908, il passa dans la réserve. Mais il fut mobilisé à partir du 21 novembre 1914 pour les campagnes contre l’Allemagne. C’est sous le matricule 574 qu’il fut appelé sous les drapeaux. Il fit partie du 131e RIT. Il est mort à 33 ans à Allan, hôpital n°49 de Bondonneau, dans la Drôme. Mort pour la France le 4 août 1917 des suites d’une « maladie contractée en service commandé ».
Abbé Colin – Mort pour la France le 5 avril 1918.
Dernier de la liste sur ce cénotaphe : Abbé Colin. Pas de date de naissance sur le monument de Blousson-Sérian. Pas de prénom non plus. Juste la date de sa mort. Mais qui était cet abbé Colin ?
Si beaucoup de victimes des combats de 14-18 n’ont pas de sépulture, celle-ci semble avoir la sienne dans le cimetière du village. Christian Luro, 77 ans (né le 18 septembre 1944), issu d’une des plus anciennes familles de Blousson-Sérian, se souvient que dans sa famille on s’est toujours occupé de l’entretien de cette tombe. Pourtant, avec le doyen actuel du village, difficile d’en dire plus sur ces personnes disparues il y a plus d’un siècle. Car l’abbé Colin n’est pas né à Blousson-Sérian, comme la plupart des autres cités lors de la cérémonie du 11 novembre.
Si les premiers noms correspondent à d’anciens villageois, celui de l’abbé, sans prénom ni date de naissance, interpelle vraiment. Difficile donc de retrouver ses origines. D’autant plus que la liste est longue des Colin qui sont morts au cours de la Première Guerre Mondiale. Mais il y avait des Colin gersois à l’époque. Alors de fil en aiguille on peut récupérer des informations, grâce aux archives et internet, et la date de son décès.
Ainsi, on retrouve sa trace dans la liste des morts de 14-18, sur un autre monument gersois. « Léon Colin abbé » apparaît sur le monument aux morts de Castelnau-Barbarens. L’abbé Colin s’appelait en fait Léon François. Dans les registres de l’époque, Matricule 26 de la classe militaire 1906. On y apprend qu’il est né le 20 novembre 1886. On le retrouve aussi dans des documents civils sous le nom de Louis François Colin. Ou encore simplement Collin avec « deux l » dans un ouvrage relatant des faits de guerre du 112e RI .
Il aura vécu pratiquement toutes les horreurs de la guerre. Dès le 4 août 1914, Léon François Colin est mobilisé à la 17e Sections d’infirmiers militaires. Les documents précisent son parcours. Le 1er avril 1915 il est passé à la 2e SIM. Puis le 1er octobre 1916, il est de nouveau passé à la 17e SIM. En 1917, le 6 juin, il est passé au 79e Régiment d’Infanterie. Et puis le 8 septembre, c’est le 112e RI. Parmi les soldats il est aumônier militaire. Un obus le touchera le 5 avril 1918, à la Ferme des Francs, près de Nomeny, en Meurthe et Moselle. C’est au nord de Nancy, à plus de 900 km de son berceau natal. Là-bas, l’actuel propriétaire des lieux n’en sait rien. Sa grand-mère avait plutôt l’habitude de lui raconter des souvenirs de la Seconde Guerre mondiale.
Un gersois cet abbé.
Sa famille est de Castelnau-Barbarens. Il avait un frère aîné qui s’appelait Osmin Dieudonné Victor Isidore Abel. Deux ans et demi plus plus âgé que lui, celui-ci était né le 15 mai 1884 à 23h (et déclaré à la mairie le 16). Ce frère de l’abbé Colin épousa Lucie Lanaspèze.
Leur mère, Rosalie, était originaire de Castelnau-Barbarens : Louise Rosalie Rey, née le 2 septembre 1856, fille de Pierre Rey, agriculteur à Castelnau-Barbarens et de Catherine Estingoy.
Leur père s’appelait Prosper : né Jean Baptiste Prosper, le 7 juillet 1860 et lui même fils d’un agriculteur local, Jean Joseph Colin, marié à Thérèze Dartet.
Le père de Léon François Colin était un charron gersois, c’est à dire un artisan spécialiste du bois et du métal, qui « concevait et réparait les véhicules de transport ou de charge avant l’époque de la motorisation ». Celui-ci fut aussi boucher. Le commerce, fondé en 1900, exista durant de nombreuses décennies. Marcel Ducos, disparu récemment, aurait probablement pu nous parler de cet établissement.
N°17 de 1886 : Colin Louis François.
Quelques archives permettent de retrouver l’abbé de Blousson-Sérian. Il est donc né à Castelnau-Barbarens, le 20 novembre 1886.
« L’an mil huit cent quatre-vingt-six, le vingt novembre à dix heures du matin, par devant nous Sarrat Bernard, adjoint délégué, par arrêté du maire pour remplir les fonctions d’officier de l’état civil de Castelnau-Barbarens, canton de Saramon, département du Gers, est comparu à la mairie le sieur, Colin Prosper, âgé de vingt-sept ans, charron, domicilié de cette commune, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né ce jour’hui à deux heures du matin dans sa maison en ville, de lui déclarant et de Rey Rosalie, son épouse, âgée de trente-trois ans, ménagère, également domicilié de cette commune. Il a déclaré donner à cet enfant les prénoms de Louis François. Les dites déclaration et présentation ont été faites en présence des sieurs Abadie Gédéon, instituteur, âgé de vingt-trois ans et Pey Bernat Joseph, tourneur de chaises, âgé de quarante-un ans, domiciliés de cette commune et ont avec nous et le comparant signé le présent acte, après lecture faite ».
Léon François Colin suivit une formation ecclésiastique dès son adolescence. Les recensements de population donnent quelques informations. En 1907, il est localisé sur Auch. En 1910, on apprend qu’il est à Aignan, desservant (« ecclésiastique qui dessert une cure, une chapelle, une paroisse », un curé). C’est en 1913 qu’il est recensé sur Blousson-Sérian.
L’abbé Colin de Blousson-Sérian a été « tué à l’ennemi », le 5 avril 1918, à l’âge de 31 ans. Dans un ouvrage intitulé « La fourragère jaune et verte du 112e - Campagne 1914-1918 : Historique du 112e Régiment d’Infanterie », deux lignes font mention de lui. Edité à Aix-en Provence en 1919, Pierre Médan raconte:
« L’attaque atteignit rapidement son but, mais la garnison s’était enfuie. Les abris furent détruits de fond en comble et 4 prisonniers du 39e Landsturm ramenés, dans nos lignes. Nous n’eûmes que 7 blessés légers, parmi lesquels le lieutenant Espieux ; mais la joie du succès fut attristée par la perte du brancardier Gallet, aumônier bénévole du I-112e, qui avait volontairement suivi ses camarades, soldat d’un courage exemplaire, d’un dévouement généreux, prêtre d’une haute valeur morale et d’une riche culture intellectuelle. Devant son cercueil, exposé le jour même dans l’église de Sivry, ce fut un défilé presque ininterrompu des hommes de toutes les compagnies au repos, dont quelques-uns étaient venus de loin pour saluer une dernière fois cette chère figure grave et sereine, dont le souvenir ne s’effacera jamais de notre coeur. Le régiment lui fit, le 26 avril, des funérailles émouvantes pendant lesquelles coulèrent bien des larmes sincères sur de rudes visages.
Les regrets s’avivaient encore au souvenir de la perte récente d’un autre aumônier bénévole, l’abbé Collin, soldat de la 3e compagnie, tué à son poste lors d’un bombardement de la ferme des Francs, le 5 avril ».
Nicolas Hamon