Quand grand-père faisait l'ouverture de la chasse...

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Il a chaussé ses lorgnons et regarde le calendrier accroché au mur.

«  Mais j’ai failli me manquer l’ouverture ! Oh, je ne ferai pas cette année une grande campagne car je ne peux plus courir dans les guérets et dans les zones épineuses.

Je me mettrai dans un coin d’un champ, j’ai déjà repéré du gibier et Fifine m'en dégotera ! »

Il avait un très bon fusil, un fusil à percussion centrale… Il avait été longtemps le seul parmi les chasseurs de Bazian à posséder un fusil de ce type.

Les autres avaient tous des fusils à broche, c’est-à-dire des fusils sur lesquels il y avait deux petits marteaux qui, lorsqu’on appuyait sur la gachette, frappaient sur l'amorce de la cartouche. Cela faisait un bruit terrible et surtout une grande fumée… On ne voyait pas si on avait tué son gibier !

Certains conservaient encore ce type de fusil pour chasser l’hiver les moineaux avec du petit plomb.

« C’est bon, disait-il, il me reste encore une semaine pour préparer les cartouches. »

La préparation des cartouches :

Il étalait sur la table deux grands journaux et allait récupérer sur une étagère dans le haut d’une armoire une musette. Cette musette contenait tout le matériel nécessaire pour faire ses cartouches.

Il vidait tout sur la table y compris toutes les douilles qu’il avait ramassées l’an passé.

Pour que les cartouches puissent resservir, il fallait enlever d’abord la vieille amorce.

Il mettait la cartouche sur un boulon et avec un petit poinçon, il faisait partir l’ancienne amorce.

Il faisait cela sur les 50 cartouches ramassées puis il fallait remettre l’amorce neuve dans le trou, la tapoter un peu pour qu’elle pénètre bien.

Les 50 cartouches étaient alignées avec les amorces.

La poudre était contenue dans une boîte en fer hermétiquement fermée.

Mon grand-père avait une mesurette avec laquelle il dosait la quantité de poudre qu’il allait mettre dans sa cartouche.

« Cette année, disait-il, je vais en mettre un petit peu plus. L’an dernier, je pense que mes plombs ne portaient pas assez loin ».

Il rajoutait une pincée par rapport à la marque de l’année précédente.

Là dessus, il rajoutait la bourre, c’est-à-dire, un petit peu de papier.

La sélection des plombs :

Il avait 4 ou 5 petits bidons en métal avec des calibres, 9,8,7,5 et il fallait choisir…

Il en faisait 10 de 9, pour le gros gibier, pas les sangliers mais du gros tout de même, puis une dizaine de 8 et de 7 et quelques-unes de 5 éventuellement pour les merles  l’hiver, chose qu’il ne faisait jamais… Au lieu de les tuer, il leur jetait du blé !

Il remplissait de plomb les cartouches et dessus mettait un carton sur lequel il écrivait le calibre du plomb. Il ne laissait à personne le soin d’écrire le chiffre au porte-plume à l’encre noire.

Nous écrivions trop mal !

Sur toutes les cartouches, il écrivait le calibre du plomb.

Il faisait ensuite appel à nous pour manier l’appareil à sertir qui permettait de rabattre les bords de la douille.

On plaçait la cartouche puis on tournait la manivelle qui amenait une presse sur le bout de la cartouche.

La cartouche était alors fermée.

En attendant son feu vert pour l’opération, on l’observait avec un mélange de respect et de crainte : la poudre, le plomb, cela nous impressionnait !

Puis il rangeait ses cartouches par catégories dans la cartouchière.

« Les cartouches, je les ai toujours faites, disait-il, je ne les ai jamais achetées sauf les premières

Depuis que j’ai les douilles et que j’ai tout le matériel acheté sur le catalogue de Manufrance, je n’ai plus besoin de les acheter ! »

Il voulait tout de même tester ses cartouches avant de partir à la chasse.

Il avait installé sur la porte de la grange de grands cartons et il allait tirer en s’écartant d’une trentaine de pas de la cible. Ensuite, avec un crayon, il évaluait sur le carton la distance des plombs et  comparait avec le carton de l’an passé.

Matinée d’ouverture :

Le matin de la chasse, il chausse ses gros souliers de l’armée qui ne servaient qu’à cette occasion et part avec son fusil, sa gibecière et Fifine qui était folle de joie car depuis quelques jours, elle ne tenait plus en place sentant l’approche de l’ouverture.

Les voilà partis dans les chaumes mais pas très loin, il n’a plus ses jambes de 20 ans...

Il s’installe et attend que Fifine fasse sortir deux lapins des broussailles.

Mon grand-père tire et en tue un. Ce n’était pas une prise noble mais une prise tout de même !

Puis, dans une vigne, Fifine lève un troupeau important de perdreaux. De son poste, mon grand-père tire et tue un perdreau.

Le voilà donc avec un lapin et un perdreau.

« Ma foi, pour un chasseur comme moi, je pense que ce n’est pas mal »

Il revient tout fier à la maison avec quelque chose dans la gibecière.

Ma grand-mère est étonnée car voilà bien longtemps qu’il n’avait rien ramené...

"C’est un vieux lapin, j’en ferai un civet. Quant au perdreau, je ne sais pas trop comment cela se prépare, je le ferai cuire au feu de bois."

La chasse avait donc été bonne et le grand-père repartirait le dimanche suivant ou peut-être dans la semaine.

Mais il n’aura plus la même réussite.

Il rentra un soir en disant : « La Fifine a levé un lièvre dans un sillon, je lui ai tiré dessus, j’ai dû lui percer les oreilles mais je ne l’ai pas touché ! »

Il tua sans doute le deuxième lapin qui traînait par là...

Si, il tua un jour un faisan ! C’était un gibier noble.

Sur ses vieux jours, il partait toujours à la chasse mais il se faisait surtout plaisir en partant avec son fusil en bandoulière et Fifine à sa suite qui attendait d’être plein champs pour partir à fond.

Fifine savait qu’elle serait récompensée d’un biscuit sec si elle levait du gibier !

Peu importe si le gibier ne finissait pas dans la gibecière !

Pierre DUPOUY

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