Dans le cadre d’une démarche participative initiée par la mairie d’Auch, les Conseils de Développement Local (CDL) ont récemment proposé la création de six îlots de fraîcheur à travers la ville. Objectif : aménager des lieux-refuges face aux épisodes de chaleur accrus par le changement climatique, tout en renforçant la cohésion sociale autour d’espaces publics repensés. Parmi les sites retenus, une décision suscite surprise et incompréhension : la place du Caillou, dans le cœur de ville.
Lors d’une réunion publique aux Cordeliers, les conclusions de cette réflexion citoyenne ont été rendues publiques. Les habitants présents n’ont pas caché leur étonnement. Car cette place emblématique du quartier, à l’ambiance conviviale et à la végétation encore partiellement préservée, est justement au centre d’un projet de densification très controversé : la construction d’un centre médicalisé de 24 lits et de trois étages, dans un des jardins voisins jouxtant la place, dont le permis de construire a été délivré en 2023 – et fait depuis l’objet d’un recours au tribunal administratif par les riverains.
Une sélection en contradiction avec les principes climatiques
Pour les membres du collectif citoyen Les Amis du Caillou, l'incohérence est flagrante. Comment faire de ce lieu un îlot de fraîcheur alors qu’il va être dénaturé par une construction massive ? Plusieurs arguments environnementaux appuient leur critique :
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Un albédo défavorable : la façade du bâtiment, tournée vers l’ouest, captera l’énergie solaire en journée pour la restituer sous forme de chaleur le soir, aggravant l’effet d’îlot thermique.
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Production de chaleur anthropique : la climatisation continue d’un établissement médicalisé renforcera la température ambiante.
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Perte d’infiltration naturelle : le jardin actuellement présent sur la parcelle, aujourd’hui perméable et végétalisé, sera remplacé par des surfaces imperméables, réduisant l’évapotranspiration.
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Effet de cuvette urbaine : l’imposante construction risque de piéger la chaleur dans la place, déjà encerclée par le bâti.
Les constats climatiques, abondamment relayés par les urbanistes, plaident au contraire pour la préservation des sols naturels, la limitation de la densification et la promotion des continuités végétales. « La place du Caillou, si on y ajoute un bâtiment de trois étages qui coupe la circulation d' air naturelle liée aux artères alors que, en l'état actuel et grâce à ces jardins, la place du caillou est déjà un îlot tempéré lors des vagues de chaleur, ce ne sera plus un îlot de fraîcheur, mais un puits de chaleur », résume une habitante du collectif.
Une concertation à double vitesse
Si la démarche des CDL se veut citoyenne, certains pointent une dissociation problématique entre cette concertation sur les îlots de fraîcheur et la gestion du projet immobilier. À aucun moment, affirment les membres du collectif, les habitants du quartier n’ont été associés aux premières décisions concernant la construction du centre médicalisé.
« Ce qui est présenté comme une réflexion participative arrive bien trop tard, regrette une membre du collectif. On nous parle aujourd’hui de co-construction alors qu’une grande partie du sort du lieu a déjà été scellée sans nous ...».
Le hiatus est d’autant plus fort que la sélection du Caillou semble méconnaître les usages sociaux existants du lieu : un espace de rencontres, de fêtes de quartier, de repos pour les anciens. Autant de fonctions qui risquent d’être incompatibles avec la présence d’un établissement médical de repos, qui impose nécessairement calme, régulation, voire restriction des accès.
Sanctuariser l’existant, plutôt que verdir artificiellement
Le collectif propose aussi une autre vision : celle de la protection active des espaces verts déjà existants, y compris privés. Dans le creux de la cuvette formée par le Caillou, deux jardins privés arborés assurent un véritable rôle de "poumon vert" pour le quartier. « Ce sont des biens privés, certes, mais ils participent du bien commun. Des dizaines de fenêtres donnent sur ces arbres, ces chants d’oiseaux, cette respiration dans la ville. Qui peut en dire autant d’un îlot de fraîcheur artificialisé, créé de toutes pièces entre du bitume et du béton ? » interroge une riveraine.
La demande est claire : qu’une réflexion soit engagée pour classer ces jardins comme zones de respiration, ou tout au moins éviter que leur disparition ne soit permise au nom d’une densification qui trahit ses propres objectifs écologiques.
Un nouveau modèle de "vivre ensemble" à inventer
Plus globalement, c’est la question du modèle urbain qui est posée. Peut-on encore ajouter du bâti là où le tissu urbain étouffe ? Faut-il repenser les îlots de fraîcheur non comme des ajouts techniques mais comme des espaces relationnels, sensibles, ancrés dans leur quartier ? La situation du Caillou illustre un paradoxe urbain typique des transitions mal coordonnées : d’un côté, une volonté de verdir la ville ; de l’autre, une bétonisation qui grignote les espaces déjà favorables à la fraîcheur et au lien social. Et si le Caillou devenait un cas d’école pour une autre manière de faire la ville ? Les membres du collectif lancent un appel à la reprise du dialogue, à une véritable concertation de quartier et à une réévaluation du projet immobilier à l’aune des enjeux climatiques et sociaux.
À l’heure où les villes cherchent à se rendre plus résilientes, peut-être faut-il commencer par protéger ce qui existe déjà, plutôt que vouloir construire la fraîcheur à coup de béton vert.
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