Nogaro – La vie en Bas-Armagnac au XXe siècle

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Avec des dessins faits sur le vif

Le 13 décembre, le Centre social le Clan a organisé une conférence sur « La Vie quotidienne en Bas-Armagnac au siècle dernier ». La conférencière (1) présente son sujet de manière très fouillée et très dense en se penchant sur cinq thèmes de la vie rurale : le dépiquage, la distillation, la Saint-Jean, la Toussaint et l’arrivée de la modernité à la campagne.

La présentation est illustrée, de manière inattendue et originale, de dessins faits sur le vif projetés sur l’écran par Sylvie Bernadet, professeur d’arts plastiques.

Le dépiquage

Juste avant le dépiquage (ou battage du grain), il y a la fenaison. Le foin est fauché et mis en tas, les femmes et les enfants le ratissent. On vient régulièrement le retourner pour le faire sécher, puis on le charge sur les charrettes et on le ramène à la ferme.

En juillet, la moisson commence : c’est surtout le blé qui est moissonné. Le fauchage est collectif si la parcelle est étendue et/ou de l’outillage est disponible. Comme la polyculture domine, les parcelles de blé sont souvent petites.

Ensuite, c’est le travail en commun pour ramener la récolte, à chaque ferme l’une après l’autre, et construire la gerbière (2) où le grain achève de mûrir.

Ce travail est répété pour chaque ferme, il peut donc durer quelques semaines.

C’est ensuite l’arrivée de la batteuse. « L’un monte sur la gerbière et fait glisser les gerbes sur la table d’égrenage, là un autre coupe les ficelles des gerbes (…) Quand elle [la machine] a jeté tous les grains, la paille va alimenter le pailler » (une grande meule qui domine la cour de la ferme). Et les sacs de grain sont portés au grenier. Puis les hommes vont laver la poussière dont ils sont couverts.

Les femmes assurent la logistique de la journée : accueil des voisins, casse-croûtes et vin sur le terrain, repas festifs à la ferme. C’est l’occasion de comparer les fermes, les récoltes et les repas, puisque tout un village s’y retrouve. « On partage un repas après avoir partagé le travail ». Les repas « permettent de donner du sens à un espace qui devient territoire ».

La distillation

La distillation est une activité réservée aux hommes : il n’y a qu’eux qui boivent de l’alcool et, la distillation ne s’arrêtant pas la nuit, il ne serait pas convenable que des femmes soient « hors de chez elles la nuit avec des hommes ».

Dans la pratique, soit on se déplace vers l’alambic, soit il se déplace. La distillation est une opération particulière, enveloppée d’un certain mystère, pour laquelle il faut des spécialistes. L’armagnac a été considéré comme un remède contre toutes les maladies.

La fabrication de l’armagnac est une affaire collective, de même que sa consommation : « C’est un produit qu’on partage, qu’on offre ». Il arrive rituellement à la fin du repas et « il réchauffe les relations ». Il concrétise la transmission d’une génération à l’autre : on boit l’armagnac de la génération précédente et on fabrique celui que boira la génération suivante.

Les fêtes

Les fêtes familiales ont lieu de plus en plus dans la sphère privée. S’agissant des fêtes religieuses comme Noël et Pâques, « le commercial gagne du terrain ». Les contraintes religieuses semblent faire place aux cadeaux et aux distractions. Alors que la fête commerciale amène ses propres contraintes « incontournables ».

Quant aux fêtes laïques, comme le 14 juillet et la fête du village, elles résistent encore. Il reste que la Saint-Jean et la Toussaint sont des fêtes pleines de sens dans ce milieu rural.

La Saint-Jean

Sur un endroit loin des constructions, tout le village apporte le bois qu’il a stocké tout exprès pour le feu. On danse le rondeau autour du feu, et les garçons sautent par-dessus ; la jeunesse se retrouve.

On attribue beaucoup de vertu à ce feu : l’ail cuit au feu de la Saint-Jean guérit le mal de dents ; il rend les terres fertiles et apporte la fécondité aux couples etc.

La Saint-Jean est la période où l’on renouvelle les baux et où l’on établit le calendrier des récoltes.

La Toussaint

Au travers de la Toussaint, Corinne Labat montre le changement profond que subit la société dans son rapport avec la mort. Cette fête de tous les saints, censée être joyeuse, est phacophytée par le Jour des morts, vieux rituel païen ancestral qui subsiste. À la Toussaint, « on va à la messe, puis au cimetière pour chanter » ; on a préalablement nettoyé et fleuri les tombes.

« Jusqu’à récemment, on ne parlait pas de mort, mais de trépas ». Le trépas indique un passage vers une autre vie.

« Les obsèques étaient un moment de vie en commun ». On vivait le trépas comme une vie naturelle. On ne mourait pas seul, on était entouré. À présent, d’autres en sont chargés (corps médical, pompes funèbres et thanatopracteurs). Brassard noirs, vêtement de deuil, tout a disparu. Beaucoup d’adultes n’ont plus jamais vu un mort.

La voiture, symbole de la modernité,

L’électricité, l’eau courante changent la manière d’habiter : on n’est plus obligé de vivre dans la même pièce, on peut veiller à la lumière artificielle. Et surtout, les appareils électroménagers changent la vie pour la cuisine, l’hygiène, le chauffage, la conservation des aliments. La radio et la télévision rompent l’isolement, de même que le train, l’avion et la voiture.

Sceptiques et même critiques devant les premières voitures (cela sert aux oisifs pour se promener), les témoins interrogés par Corinne Labat changent d’avis quand ils prennent conscience que ces véhicules peuvent faciliter leur travail et pas servir seulement au confort : comme ce sont eux qui décident de ce changement, ils l’acceptent pour cette bonne raison.

Pourtant ils voient que ce progrès technique – nullement remis en cause - entraîne l’exode : on agrandit les domaines, tout change et « on ne sait pas ce qui va arriver ».

Mais, inversement, la voiture permet de relier les villageois les uns aux autres et de dépasser les limites de son canton. Il devient important et nécessaire de goudronner les chemins : « à partir des années 50, la voiture devient incontournable ». Même les anciens passent le permis.

La conférencière conclut : en un siècle, la société rurale du Bas-Armagnac s’est profondément transformée, mais ses membres ont toujours un fort sentiment d’appartenance, bien qu’il soit « désormais plus affectif qu’effectif ».

(1) Corinne Labat, est une ethno-sociologue qui travaille à l'Université de Toulouse, à la Diffusion de la culture scientifique et technique, et plus précisément à la valorisation des collections muséales des établissements d'enseignement supérieur et de recherche. (2) « Il n'y a qu'à charger et à emporter le blé. On ne l'engrange plus. On l'entasse en gerbière, vaste meule rectangulaire, élevée en dos d'âne, les épis en dedans, les tiges en dehors, sauf sur la ligne de faîte, où les fruits sont placés à l'extérieur. Ainsi la pluie, s'il en tombe, prend la pente et ruisselle. On construit des gerbières afin de servir de plus près et plus vite la batteuse. Joseph de Pesquidoux, Le Livre de raison,1925, p. 56.

3 Jocelyne Sanson 1bis 131217.jpg
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2bis Corinne labat 1bis 131217.jpg
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1 Sylvie Bernadet est prête à dessiner 1bis 131217.jpg
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4 Sylvie Bernadet dessine 1bis 131217.jpg
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4 Dessin les travaux des champs 1bis 131217.jpg
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5 Dessin la distillation 1bis 131217.jpg
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6 Dessin fête de la Saint-Jean 1bis 131217.jpg
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7 Dessin la Toussaint et le Jour des morts 1bis 131217.jpg
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8 Dessin arrivée de la modernité 1bis 131217.jpg
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