Le 3 août 1944, une compagnie (80 hommes) de soldats allemands cherche le colonel Maurice Parisot (créateur du Bataillon de l'Armagnac) et sa famille à son domicile, au château de Saint-Gô, sis au lieu-dit Esparsac (situé à quelque 300 m du chai actuel du Château Saint-Gô). Ne le trouvant pas, ils brûlent le château.
Le 3 août 2024, 80 ans après, la coopérative Producteurs Plaimont organise une cérémonie avec un double but : raviver le souvenir de l'engagement des Résistants en pays d'Armagnac et garder vivante la mémoire du kibboutz des quelque 40 jeunes Juifs venus s'initier à l'agriculture de 1935 à 1938 à la métairie de Lartigolle, avant de partir pour la Palestine. Cette métairie était exactement là où est actuellement le chai du vin du Château Saint-Gô.
La métairie Lartigolle où était installé le kibboutz (photo communiquée par Jean Guyonneau)
Les mêmes bâtiments aujourd'hui, sur la gauche du chai du Château Saint-Gô
Un beau programme qui n'a que peu de succès
Le programme de cet anniversaire comporte une exposition dans le chai du Château Saint-Gô des panneaux créés par Les Archives départementales pour le village de Panjas. Ils retracent l'histoire du Bataillon de l'Armagnac, justement rassemblé à Panjas pendant la tentative des Allemands de mettre la main sur Maurice et Jeanne Parisot.
Ensuite, une petite randonnée guidée autour des hauts lieux de la Résistance à Bouzon-Gellenave, comme l'église Bouzonnet, qui servait de cache aux équipements parachutés depuis la Grande-Bretagne.
Ensuite, 4 interventions : celle d'Olivier Dabadie, président de Producteurs Plaimont, celle du général Jacques Lasserre, historien du Bataillon de l'Armagnac (1), celle de Nicole Duclos, maire de Bouzon-Gellenave et celle de Julie David, sous-préfète directrice du cabinet du préfet.
Les interventions sont suivies du dévoilement du pupitre à la mémoire du kibboutz.
Après quoi l'on pouvait se restaurer avec des tapas et du vin du Château Saint-Gô et assister à la projection en plein air du film de Jean-Luc Tovar Une histoire du Bataillon de l'Armagnac par celles et ceux qui l'ont vécue.
Malheureusement le public était peu nombreux : il y avait les Jeux Olympiques à la télévision et une corrida à Riscle…
Parmi les personnalités présentes : Chantal Sarniguet, conseillère départementale, Gérard Peres, maire d'Aignan, Pascal Geneste, directeur des Archives départementales du Gers et Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs de France.
Nicole Duclos et Olivier Dabadie
Intervention d'Olivier Dabadie
Pour le président de Producteurs Plaimont, commémorer l'incendie du château de Saint-Gô, c'est montrer que la coopérative honore l'engagement des Résistants. Certains disent que résister en 1944, cela ne vaut pas résister en 1940. Pourtant, des Résistants hommes et des femmes sont morts pour la France cette année-là. Cette commémoration fait partie de la transmission des valeurs de la France aux jeunes générations. De même Plaimont transmet les valeurs traditionnelles aux jeunes vignerons à qui il a fait appel pour cultiver le domaine de Saint-Gô, qu'il a racheté.
Par ailleurs, il convient de ne pas oublier les jeunes Juifs venus dans cette métairie de Lartigolle de toute l'Europe où les Juifs étaient persécutés, pour s'initier à l'agriculture. Ce pupitre, qui leur est consacré, rappelle leur histoire.
Le général Jacques Lasserre
Intervention du général Jacques Lasserre
Saint Gô, probablement un saint local, un seigneur wisigoth, peut-être appelé « Sanche », qui deviendra « Saint », a sans doute vécu au Ve siècle après J-C. Il serait contemporain de la motte castrale couronnée d'une tour, située non loin de l'église primitive.
Le Kibboutz - Pourquoi de jeunes Juifs sont-ils venus à la métairie de Lartigolle ? L'explication est sans doute en ceci que Olivier Bascou, avocat, préfet et député du Gers, avait épousé Marie Goudchaux, héritière d'une riche famille juive. Il agrandit la maison sise au lieu-dit Péjot, qui devient le Château Bascou et « la disponibilité du domaine de Saint-Gô a sans doute été signalée par Olivier Bascou ».(…) C'est ainsi que 42 jeunes Juifs des deux sexes vont exploiter la métairie (…) de 1935 à 1938 ».Leur journée est bien remplie : elle commence à 6 heures par de la gymnastique. Les travaux des champs et les cours d'hébreu alternent jusqu'à 19 heures.
À noter que six mariages civils de ces jeunes furent célébrés à la mairie de Bouzon-Gellenave en 1936 et 1937.
Les Allemands traquent Maurice Parisot - Maurice Parisot est proche des frères Monnet, Henri et Georges. Ce dernier est un homme politique en vue, tandis que Henri est proche des milieux financiers. Sous l'Occupation, il conseille à des banquiers juifs d'investir leurs avoirs en France dans la terre : ils achètent le domaine de Saint-Gô avec Maurice Parisot comme prête-nom. Celui-ci devient administrateur de plusieurs domaines agricoles, ce qui lui permet de justifier ses nombreux déplacements. Déplacements voués à la création d'une unité combattante qui sera le Bataillon de l'Armagnac. Cette activité est la couverture qui lui permet de recruter « des hommes qui voudront, comme lui, aller concrètement au combat ».
Le château de Saint-Gô devient le PC du Bataillon qui se constitue dans la clandestinité, sans jamais être découvert par les Allemands, « grâce à la complicité de tout l'environnement, de tous les paysans et commerçants alentour ».
Le 6 juin 1944, c'est le débarquement. Le Bataillon de l'Armagnac se regroupe à Panjas grâce à l'abbé Talès, curé de Panjas. Il ne reste au château que Madame Jeanne Parisot , sa fille, deux femmes et des ouvriers agricoles.
Le 3 août, les Allemands lancent une opération au château Saint-Gô, où ils pensent trouver Maurice Parisot et son épouse. Coup de chance : Jeanne Parisot est partie à Auch auprès de l'archevêque, plaider la cause de l'abbé Talès, à qui il a été interdit de dire la messe. En effet, des familles collaborationnistes n'appréciaient pas ses diatribes contre les nazis et le régime de Vichy. Quant à la petite Anne-Françoise, elle avait été envoyée jouer chez une amie. Les Allemands ne trouvent ni armes, ni Résistants, grâce au dévouement des deux femmes présentes sur place. Ils n'exercent pas de représailles sur le personnel présent, mais ils brûlent le château.
Avisé par sa femme que tout a brûlé, Maurice Parisot lui répond : « Cela facilitera le déménagement ! ».
Nicole Duclos
Intervention de Nicole Duclos
S'agissant du kibboutz, Nicole Duclos précise qu'il était dénommé « Hassela » (rocher en français). Les jeunes venaient d'Allemagne, de Pologne, de Roumanie, de Lithuanie, de Russie etc.
La Grande-Bretagne, chargée par la Société des Nations d'administrer la Palestine (ex-province turque) acceptait que les Juifs créent un « Foyer national juif ».
Or la formation agricole et l'apprentissage de l'hébreu étaient indispensables pour obtenir un visa pour la Palestine. Les conditions de vie étaient spartiates pour des jeunes issus de milieux intellectuels.
La coopérative Producteurs Plaimont a souhaité garder une trace de l'installation d'un kibboutz à Saint-Gô, ce qui permet « de redécouvrir une page oubliée de l'histoire locale ».
S'agissant du 3 août 1944, dans l'après-midi, une compagnie de 80 hommes à bord de 4 camions et d'une voiture, encercle le Château Saint-Gô. Apparemment bien renseignés, ils disent aux deux femmes, Josepha et Jacqueline, qu'ils viennent chercher Maurice et Jeanne Parisot et un agent de liaison du Bataillon, Serge Taesch, blessé au pied (celui-ci est caché dans le foin par Josepha).
Pendant la fouille du bâtiment, les ouvriers agricoles sont alignés contre un mur. Ils enviaient leur camarade au repos Ernest Hecker, parti pêcher. Pourtant, ils s'en sortent indemnes. Mais Ernest Hecker fut pris à son retour, avec d'autres, comme otage, à Termes-d'Armagnac : ils sont tous fusillés le même jour au carrefour Monplaisir à Maulichères.
N'ayant trouvé ni armes, ni maquisards, les Allemands mettent le feu au château avec des grenades incendiaires, en utilisant la récolte de lin.
« Le colonel Parisot est tué accidentellement un mois plus tard, le 6 septembre 1944 sur l'aérodrome de Toulouse-Francazal lors de l'atterrissage de nuit d'un avion anglais. Il est inhumé dans le cimetière de Saint-Gô aux côtés de son épouse Jeanne ».
Deux autres plaques seront inaugurées en septembre 2024 à Bouzon-Gellenave en l'honneur de la Résistance.
Le général Lasserre, Nicole Duclos et Julie David
Intervention de Julie David, sous-préfète
« En ces lieux, l'histoire s'est écrite avec un grand H : le « H » de l'honneur qui était le maître-mot de ceux qui ont combattu, le « H » de l'habileté technique et stratégique qui les guidait, le « H » de l'humanité, pour que grâce à eux et à leurs actes, chacune et chacun puisse enfin vivre en paix »
En rachetant ce domaine, Plaimont n'a pas seulement développé son activité, mais cette coopérative a remis en mémoire l'histoire de ce château et les actions héroïques du Bataillon de l'Armagnac. (…).
Nul doute que le colonel Parisot, ingénieur agronome de son état, regarderait l'évolution de ces lieux d'un œil satisfait, celui du travail bien fait, qui dicta ses actions tout au long de sa vie ».
(1) Son ouvrage, Le Bataillon de l'Armagnac (Privat), fait autorité.
N.B. - Sur la photo du haut de page: le général Jacques Lasserre devant l'exposition des panneaux des Archives nationales dans le chai du Château Saint-Gô.
Dévoilement du pupitre consacré au kibboutz
Texte du pupitre