Lettre ouverte de la Confédération paysanne aux agricultrices et aux agriculteurs sur la question capitale de l'eau et de son usage

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Si la Confédération paysanne est mobilisée depuis plus de 20 ans contre les méga-bassines, ce n'est en aucun cas une critique de l'irrigation, ni une adresse personnelle à celles et ceux qui y sont raccordés. La pression économique pèse sur nos fermes. Le système économique libéral tire nos prix vers le bas ne permettant pas la juste rémunération de notre travail.

La recherche d'une meilleure productivité grâce à l'irrigation apparaît ainsi pour certain·es une échappatoire logique.  Mais le système des bassines présente de nombreuses faiblesses car nous avons toutes et tous besoin d'eau pour nos cultures, que nous irriguions ou pas.

Les projets de stockage de l’eau dans des méga-bassines figent l'accès à l'eau sur un territoire.  Or, des agriculteurs voisins et des nouveaux arrivants doivent aussi, si nécessaire, pouvoir avoir accès à l'eau par une redistribution des volumes.  Nous pensons notamment aux maraîcher·ères et aux arboriculteurs·trices pour qui l'eau est vitale pour la survie de leurs cultures, et non un simple facteur d’augmentation du rendement.

Nous dénonçons aussi fortement l'absence de transparence sur l'usage de l'eau.  Aujourd'hui, aucune priorisation n'est faite en fonction des cultures, de la destination de ces dernières et du nombre d'emplois sur la ferme.  Il est ainsi tout à fait possible d'irriguer des terres qui servent à des cultures dédiées à la méthanisation, du blé tendre ou du maïs destinés à l'exportation, ce que nous dénonçons ; comme des légumes destinés aux cantines des collectivités du territoire, ce que nous soutenons.  Cette situation absurde a assez duré.

Une spéculation sur les droits d'eau s'installe, notamment à la transmission, accélérant davantage la concentration et l'agrandissement des exploitations.

Les dates d'arrêté sécheresse avancent, touchant encore plus durement celles et ceux qui ne sont pas raccordés ; surtout les petits volumes d'irrigation, maraîchers et arboriculteurs, pour qui l'eau est vitale.

Ne nous voilons pas la face : dans le Sud-Ouest, on annonce une baisse de 20 à 50% des ressources en eau d'ici 2050.  Nous sommes les premiers témoins du changement climatique, au moins tout autant que les jeunes militant·es écologistes qui se mobilisent contre ces projets.  Nous sommes encore plus douloureusement conscient·es des difficultés croissantes qui nous attendent.  Ce dont nous avons besoin, c'est d'un accompagnement des pouvoirs publics sans faille pour la transition agroécologique et d’une reconnaissance politique, sociale et économique de notre travail.

Nous toutes et tous sommes sensibles à la transmission de la terre aux générations futures. L'eau doit être partagée équitablement au sein du monde agricole et entre les acteurs du territoire.  Nous avons toutes et tous des efforts de sobriété à mener et des changements à mener collectivement dans nos systèmes de culture, dans notre manière de travailler.  En parallèle, les activités de tourisme de masse ou de loisirs forts consommateurs de terres et d’eau, comme par exemple le golf, doivent être régulées pour prioriser l'usage alimentaire.

S'entêter dans un système économique et agronomique qui ne nous rémunère pas collectivement, un système basé sur les cessations d'activité des uns pour l'agrandissement des autres, n'est pas une solution.

Nous pouvons sortir de l'impasse ; nous remettre autour de la table pour trouver des solutions qui font converger l'intérêt général et l'intérêt des paysan·nes, discuter des systèmes économiques et agronomiques, de la destination des cultures, des pratiques pour protéger la qualité de l'eau.  Nous trouverons ainsi des solutions communes et territorialisées, fondées en priorité sur la nature.

Plafonner et prioriser pour mieux répartir doit maintenant guider les politiques publiques de gestion de l'eau, dans le monde agricole et pour tous les acteurs du territoire.  La gestion de l’eau, les prélèvements et l’irrigation doivent s’adapter à la ressource en eau disponible dans chaque territoire.

En juillet 2024, le Poitou sera encore une fois sous les projecteurs.

Pour nous, syndicalistes de la Confédération paysanne, ce conflit est symptomatique de la nécessité d'un partage équitable de l'eau au sein du monde agricole.

Nous savons toutes et tous que dans le grand cycle de l'eau, il n'y a pas d'eau perdue. Cette eau sert aux milieux, aux collègues en aval, jusqu'aux paysan·nes de la mer qui ont besoin d'eau en quantité et qualité.

Nous comprenons tous que les pénuries et excès d'eau que nous subissons, sont le résultat des mêmes problèmes : dérèglement climatique, artificialisation des sols, perte de la matière organique, disparition des haies... Nos sols abîmés n'arrivent plus à bien capter l'eau pour son infiltration.  Ne nous trompons pas de combat ! Stockons en priorité l'eau dans ses réservoirs naturels : nos sols, les nappes et zones humides.

Nous devons sortir de l'impasse et de la confrontation destructrice. Pour cela, il faut se remettre autour de la table et dialoguer pour trouver des solutions qui font converger l'intérêt général et l'intérêt de toutes et tous.

Nous voulons sortir par le haut de ce conflit afin d'offrir des solutions à toutes et tous, irrigant·es ou non, plutôt que de privatiser l'eau pour une minorité dans une logique court-termiste.

L'eau est précieuse. Collectivement, préservons-la, partageons-la !

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